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chaque pas fait vers le sud, on appréciait de plus en plus l’importance commerciale de la région saharienne. Au centre d’une oasis s’élève ordinairement un ksar, c’est-à-dire un village fortifié, qui est un foyer d’industrie très actif et, par conséquent, un dépôt de richesses. C’est dans ces ksars qu’une population sédentaire fabrique les tissus de laine, les cuirs maroquinés, la sellerie, les armes, la poudre, les aromes, qui sont échangés contre les grains nécessaires à la subsistance des tribus nomades. Entre les Marocains et les Turcs, qui se disputaient depuis long-temps les droits de la souveraineté, les ksars du désert d’Oran s’étaient accoutumés à une sorte d’indépendance : leurs sympathies étaient pour le Maroc, où résident leurs chefs religieux, et ils avaient dirigé vers l’ouest le courant de leurs échanges, au préjudice du Tell algérien. Le général de La Rue fut appelé à négocier le traité de délimitation qui devait établir les droits respectifs des deux états. Par ses soins, la ligne qui sépare l’Algérie du Maroc fut prolongée nettement jusqu’à l’extrémité du désert habitable. On désigna les tribus nomades dépendantes de chacun des deux états, et, sur neuf ksars du Sahara d’Oran, sept furent attribués à la France. Ce résultat était d’autant plus important, que non-seulement le territoire, mais des sujets musulmans se trouvaient ainsi faire l’objet d’un partage entre un empereur du Maroc et un prince chrétien.

Après la ruine des projets d’Abd-el-Kader et le châtiment du Maroc, la guerre, qu’on croyait éteinte, se rallume avec un caractère nouveau. Ce n’est plus une combinaison émanée du chef politique, c’est une explosion instinctive et soudaine, un réveil fiévreux de passions populaires. La scène qu’Abd-el-Kader laissait vide allait se remplir d’illuminés sauvages. Un des principaux alimens du fanatisme arabe consiste en prophéties plus ou moins poétiques, généralement attribuées à des marabouts de grand renom, et propres à flatter les passions populaires. Les plus accréditées depuis seize ans sont naturellement celles qui annoncent l’expulsion des infidèles, en prédisent l’époque, donnent le signalement du libérateur en exaltant les merveilles de son règne. Un jeune homme d’une rare énergie, originaire du bas Chelif, se présente comme le héros annoncé par toutes ces légendes. Sa parole enthousiaste et des miracles apocryphes le placent à la tête d’une petite bande ; des succès en font un grand chef. Bientôt tout le Dahra, tout l’Ouarsenis, s’agitent à sa voix ; la plaine de Chelif est en feu : sur vingt points de l’Agérie, se dressent des agitateurs qui prennent tous, comme leur modèle, le nom de Mohammed-Ben-Abd-Allah et le surnom de Bou-Haza.

Abd-el-Kader reparaît pour exploiter la crise : l’homme politique et aventurier, entre lesquels il n’existe qu’un échange de haine et de mépris, s’unissent et concertent un soulèvement général et simultané