Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/798

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tactique à suivre en Afrique des idées conformes à celles dont le ministre de la guerre était préoccupé, arriva au gouvernement ; on mit à sa disposition un effectif de 78,000 hommes, avec 13,500 chevaux La guerre d’Afrique prit dès-lors une physionomie nouvelle. Une digression est indispensable pour faire comprendre les innovations qui ont enfin mis nos adversaires hors de combat.

Pendant la première période de la guerre d’Afrique, toutes les expéditions partaient d’Alger : elles étaient faites par des corps d’armée de 6 à 10,000 hommes ; leur durée était circonscrite dans deux époques de l’année, le printemps et l’automne, afin d’éviter les pluies et les chaleurs. Qu’on ne s’étonne pas de cette circonspection ; une si rude guerre exige un apprentissage que nos soldats n’avaient pas encore fait : ils ne savaient pas, comme aujourd’hui, ménager leurs vivres, leur eau, se créer des abris, découvrir des silos, des sources ; ils s’abandonnaient quelquefois à une nostalgie dont on ne trouve plus aucune trace. Par ces motifs, on n’osait les mettre en mouvement qu’aux époques les plus favorables de l’année, dont l’une pouvait comporter six semaines et l’autre environ deux mois. Quant à l’effectif considérable des colonnes, on le croyait indispensable pour faire face à un ennemi dont on ne connaissait jamais ni les ressources ni les intentions, qui, invisible par moment, se déployait tout à coup sur une vaste échelle, au point de mettre parfois en ligne jusqu’à 10,000 cavaliers. La colonne française, alourdie par un convoi proportionné à sa force, ne pouvait suivre qu’une seule route ouverte d’avance par le génie, ou des sentiers arabes qu’il fallait de momens en momens améliorer par des travaux ; les étapes devenaient forcément très courtes ; à peine atteignaient-elles quatre ou cinq lieues en plaine, deux ou trois lieues en pays, de montagne ; aussi l’on mettait habituellement trois jours pour se rendre à Blidah, de cette ville trois autres pour arriver à Médéah, et cinq jours pour Miliana. Étant évalué à 1,500 le nombre moyen de bouches renfermées dans la première place, et à 1,000 celui de la seconde, le seul entretien de ces faibles garnisons pendant une année exigeait le transfert de 365,000 rations d’une part et 547,000 rations de l’autre, sans compter les déchets et les accessoires. Il fallait donc organiser des convois de 2,000 bêtes de somme et les conduire quatre fois à Médéah, quatre fois à Miliana, rien que pour assurer leur subsistance d’une année. Avec le déchargement des convois et le repos nécessaire donné aux troupes de la colonne mobile, la première opération embrassait au moins dix jours, et la seconde quinze jours ; en multipliant par le nombre 4 la durée de ces ravitaillemens, on trouve qu’ils absorbent un temps égal aux six semaines de printemps et aux deux mois d’automne qui constituaient alors toute l’époque des expéditions.