Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/787

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a les goûts plus relevés que les paysans de M. Sue ; ceux-là ne font point à ce peuple l’injure de le croire dépourvu de tout sentiment de l’intérêt et de la beauté littéraires. Ils ne lui font pas l’injure de penser que la trivialité du raisonnement est le moyen de lui plaire et de le convaincre par exemple, quoique Mme Sand n’ait guère fait usage, dans les Lettres au Peuple, de cet art supérieur de parler simplement et littérairement pour le peuple, elle a pourtant montré plusieurs fois une intelligence assez claire du style qui convient aux campagnes. Tant qu’elle écrira dans le genre légèrement apocalyptique des Lettres au Peuple, elle ne pourra guère trouver de lecteurs que parmi les fidèles de son école et les imaginations dérangées qui se complaisent dans les grandes abstractions inintelligibles ; mais son socialisme serait plus dangereux, s’il empruntait ce vif et charmant langage des populations illettrées dont elle est allée chercher le secret, non point aux halles, ni au tapis-franc, ni à Toulon, mais dans le vieux français naïf, vraiment gaulois et vraiment populaire, du XVIe siècle, langue d’une nation dans l’enfance, admirablement appropriée, par ses allures, à l’enfance littéraire du peuple.

Et qui ne sait pas combien les doctrines dont Mme Sand et M. Sue voudraient être les organes auprès du peuple ont de promoteurs sous toutes les formes, feuilles périodiques, écrits de circonstance, traités ex professo ? Certes, l’église, fermée à tous les bruits du monde, montre jusqu’à présent pour ces théories une sage défiance ; mais comment ne pas remarquer ce mouvement qui se fait au sein de l’école des réformateurs mystiques pour se placer sous le patronage du communisme de l’église primitive ? Ils n’invoquent point seulement tel ou tel précepte de l’Evangile, ils s’appuient aussi sur l’enseignement des premiers pères et des conciles, qui, avant parlé pour des sociétés en état de dissolution, ou pour des peuples à peine sortis de l’état de nature, ont bien pu, en effet, fournir des argumens et des textes aux gnostiques de notre époque. Ils voudraient ainsi, par une tactique ingénieuse, s’introduire plus facilement dans les intelligences tendres sous couleur de christianisme pratique, et peut-être se glisser dans le séminaire lui-même. C’est une vraie bataille rangée, dont le front se déploie sur un vaste plan, et l’attaque commence à la fois sur tous les points. De là pour les écrivains du camp opposé la nécessité de répondre à cette attaque par un ensemble non moins vaste de manœuvres et un déploiement de forces non moins imposant. Quoique principalement philosophique, cette tâche toutefois ne regarde point exclusivement les philosophes. Si la besogne de M. Cousin est, par sa nature même, d’un caractère plus élevé, celle des historiens et des économistes a aussi son importance et son mérite. Il est urgent de combattre le mysticisme et le matérialisme dans tous les recoins de la science et de l’enseignement où ils essaient de s’ouvrir