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par l’un ou par l’autre, quand le prêtre n’a pas signalé à l’opinion l’instituteur comme un suppôt du démon et un professeur d’impiété, et quand l’instituteur n’a point dénoncé le prêtre comme un ignorant malintentionné qui spécule sur les préjugés humains ! Comment des intelligences simples, qui n’ont point les ressources de l’étude ni du raisonnement philosophique, feraient-elles un choix entre ces deux mobiles qui pèsent sur leurs résolutions ? comment distingueraient-elles la vérité de l’erreur, elles qui ne possèdent ni les lumières de la science ni les enseignemens de la raison ? Impuissantes à retrouver par elles-mêmes une croyance nette, forte et capable de remplacer la foi qui leur échappe, elles tombent, par une pente naturelle, dans une sorte de léthargie morale.

Et qui donc pourrait les en tirer ? Serait-ce l’opinion ? seraient-ce les émanations de la civilisation générale qui arrive à pas lents et par des chemins détournés jusqu’au village ? seraient-ce les lumières que nous faisons rayonner sur la commune du foyer de nos corps savans et de nos assemblées publiques ? Mais que sommes-nous donc nous-mêmes au sein de nos villes, sinon l’original dont la commune est une pâle image ? nous aussi, nous nous formons sous la double influence de l’église et de l’école, qui, non contentes de rester simplement séparées, se combattent et se nient réciproquement, l’une enseignant, comme point de départ de toute sagesse, que l’intelligence humaine est impuissante, l’autre que la révélation surnaturelle n’est ni nécessaire ni vraisemblable. L’homme de nos sociétés éclairées, que le paysan aime à prendre pour modèle, se trouve, lui aussi, scindé en deux parts : d’un côté, il incline vers les croyances religieuses qui ont dirigé son esprit dès le berceau ; de l’autre, il est entraîné vers les doctrines philosophiques qui l’ont saisi et enveloppé dès l’adolescence. Il y a ainsi en général, dans chacun de nous, deux hommes qui se combattent, se paralysent, et ne laissent survivre en nous que la seule critique en compagnie du scepticisme. Voilà l’exemple que nous donnons au paysan dans les plaisirs de la villégiature et dans les professions libérales des petites villes, voilà les enseignemens que nous lui portons du sein même de la civilisation. Quelquefois la nécessité l’amène à son tour dans nos grandes villes, au contact de nos idées et de nos mœurs. Chaque jour, son fils vient nous coudoyer au milieu de nos travaux de la pensée et du luxe de nos arts ; il vient comme soldat où comme compagnon d’un métier ne s’assied point au foyer de notre vie privée, mais il partage les joies et les douleurs de notre vie publique ; il est de nos réunions libres, il est de nos fêtes, de nos révolutions et de nos batailles. Eh bien ! qu’on use avec quelles croyances il rentre dans la famille, après avoir mené l’existence de l’atelier et des camps ! On le comprend trop bien, si quelques débris des vieilles traditions avaient survécu à la lutte sourde