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de côté les livres pour se replier sur lui-même ; il interroge sa conscience, qui lui parle un langage plus vrai que la théologie. Toutefois la théologie, c’est le dogme, c’est le fondement de la foi, c’est l’orthodoxie, et, sitôt que le prêtre enseigne ex cathedrâ, il est forcé de redevenir théologien, de faire la guerre à l’homme et à la raison.

L’instituteur est fils de paysan comme le prêtre. Beaucoup de vieux instituteurs se sont formés eux-mêmes par la routine. Les jeunes sortent de l’école normale du département, ou du moins ils y ont passé quelques mois de leurs vacances. Plusieurs peut-être s’étaient d’abord tournés du côté du sacerdoce ; ils avaient pris quelques années de séminaire ; puis le manque de vocation, un ennui, une passion bonne ou mauvaise, un intérêt, le hasard, leur avaient fait rebrousser chemin vers l’enseignement laïque. De quelque façon que l’instituteur se soit formé, il s’inspire de principes différens de ceux de l’église, et il reçoit de l’école normale une impulsion souvent opposée à celle qu’imprime le séminaire. L’école normale est une création du monde nouveau, comme le séminaire est le produit du monde ancien ; elle a le sentiment de son origine, elle sait qu’on lui a prédit à sa naissance de brillantes destinées ; elle communique naturellement les mêmes sentimens et les mêmes espérances à tous ceux qu’elle répand dans les campagnes pour enseigner en son nom. Elle ne voit point l’histoire sous un jour mystique ni la raison d’un œil craintif. Si peu qu’elle parle de l’histoire, elle considère les événemens comme le fait de la liberté humaine, et, si peu qu’elle s’entretienne de philosophie, elle envisage cette science comme légitime et puissante. Que le regard de l’humble instituteur pénètre ou non jusqu’au fond d’une telle pensée, il aime l’époque où nous sommes comme une époque d’affranchissement pour l’esprit. Vainement voudrait-il enseigner à cet égard un système dont il n’a pas toujours le secret, ou prêcher une croisade en règle contre la tradition au profit du rationalisme, qu’il n’a point approfondi ; il pense du moins, et il agit sous l’empire de ce sentiment, qu’à côté de la science théologique il y a la science rationnelle, qui vaut mieux. Ce sentiment éclate à son gré où à son insu dans toutes ses paroles et dans toute sa conduite.

Telle est la double source des idées morales dans les campagnes. Un principe de croyance croît donc à côté d’un autre dans le cœur de l’enfant. Tandis que le prêtre pousse son élève avec tout le prestige et toute l’autorité de l’église vers les croyances révélées, les mystères inexplicables, le surhumain et le surnaturel, l’instituteur le dirige vers les croyances rationnelles, les sources humaines et naturelles du devoir et du droit. Qu’arrive-t-il par la force des choses ? C’est que ces deux principes sont des élémens de lutte qui s’introduisent au sein des consciences : trop heureuses encore les populations chez lesquelles la lutte n’est pas engagée hautement entre le prêtre et l’instituteur, provoquée