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soit qu’ils aient réussi à revêtir des pensées élevées de formes brillante, soit qu’ils n’aient su que donner de la clarté à une vaste science, ils se sont tenus dans la voie des saines traditions philosophiques et littéraires. Sans doute, on chercherait vainement en eux ces façons d’apôtres, ces bruyans désirs de régénérer le monde, ces allures d’illuminés par lesquelles se distingue le romantisme socialiste. Ils n’appartiennent point proprement à cette classe de penseurs à grande prétention qui, outre les prophètes modernes, nous a donné ces grands seigneurs de la littérature, magnifiques, prodigues, conquérans, imitateurs serviles de Byron, qui prenaient pour du grand air l’irrégularité des habitudes, une fade ostentation pour de la tenue, et dont le plaisir était de se faire admirer de quelques centaines de désoeuvrés de mince esprit, en attendant le soudain évanouissement de leur renommée. Non, et ce n’est pas le moindre mérite de cette école, d’avoir compris autrement le métier de la pensée et d’avoir porté dans le culte des lettres, dans les investigations de la science, la gravité du caractère et ce respect de soi-même qui donnent aux idées la dignité dont elles ont besoin pour ne pas abaisser le lecteur, au lieu de l’élever. Il en était ainsi, à peu d’exceptions près, chez les écrivains des deux époques qui ont précédé la nôtre. Avant d’être de grands poètes, de grands orateurs, de grands philosophes, c’étaient des hommes de beaucoup de modestie et d’une simplicité virile ; et, si l’on peut reprocher à quelques-uns d’avoir été parfois humbles en face des puissans seigneurs du temps, j’estime que cette humilité, si profonde fût-elle, était encore plus digne, dans sa naïveté, que la superbe de nos contemporains préoccupés, avant tout intérêt d’idées, de donner leur vaniteuse personne en spectacle. C’est donc de cette école qui a suivi la droite ligne du bon sens et cultivé respectueusement la science qu’il faut attendre les efforts nouveaux nécessaires à la société actuelle, pour échapper au double danger de la désorganisation et de l’indifférence. En effet, avec moins de prétention à régénérer l’espèce humaine, avec un cœur moins expansif et moins ouvert à toutes les vagues aspirations d’une fraternité fiévreuse, les moralistes de l’Institut me semblent plus directement placés sur le chemin du progrès social et philosophique que les fougueux moralistes du socialisme. Est-ce à dire que M. Cousin et ses collègues, dans leurs récentes publications, aient mesuré dans sa profondeur la plaie des consciences, qu’ils aient mis au jour quelque vérité nouvelle, qu’ils aient trouvé ce langage encore inconnu à l’aide duquel on saura vulgariser les idées, les mettre à la portée de l’ouvrier, du paysan, enfin démocratiser la science ? Avant de répondre catégoriquement à cette question, avant de mettre les Petits Traités de l’Institut en regard des Lettres au Peuple et du Berger de Kravan, il est peut-être nécessaire de rechercher le vrai caractère de ce désordre intellectuel, de ce scepticisme