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Après Walter Scott, avec moins d’agrément, mais avec plus de passion avec des sentimens plus modernes, avec des élans d’imagination plus appropriés aux allures d’un siècle blasé, elles ont bercé nos esprits d’idées excentriques et brûlantes, elles nous ont introduits par des chemins hardis et semés de fleurs agrestes dans le monde des chimères contemporaines. Pourquoi a-t-il fallu que l’auteur passionné de Lélia, de Valentine, de Mauprat, des Lettres d’un Voyageur, en vînt à écrire ce paradoxe de l’amour qui porte le titre de Compagnon du tour de France ? Quelle fâcheuse inspiration a conduit le peintre de Consuelo à nous initier au mysticisme de la Comtesse de Rudolstadt ? Par quel fatal égarement le conteur si naturel et si vif de François le Champi a-t-il pu, le lendemain du jour où s’achevait cette heureuse étude du langage et des mœurs du paysan, déclamer certains bulletins de la république et les Lettres au peuple ? Avec quelle douleur, avec quel pénible sentiment de regret pour les lettres, on voit Mme Sand descendre de ce domaine de la passion dans les froides régions de la métaphysique socialiste !

Je n’éprouve point la même tristesse à rencontrer sur ce même terrain un autre novateur, également romancier et grand moraliste, M. Eugène Sue. Je ne pense pas que M. Sue ait beaucoup perdu à passer du roman pur et simple, pour parler par figure, au roman phalanstérien aux comédies socialistes, au Berger de Kravan. L’auteur de la Salamandre et de Mathilde a pu, sans laisser de regrets aux hommes de goût, se précipiter tête baissée dans les voies inférieures où se déroulent le mélodrame des Mystères de Paris, les complications vulgaires du Juif errant, et que sais-je encore ? M. Sue a pu suivre ces sentiers mal fréquentés sans avoir beaucoup à s’éloigner des chemins où il avait pris dès l’origine l’habitude de marcher. Bien qu’il ait montré l’intention de penser, je ne me souviens point qu’il ait jamais eu la prétention beaucoup plus ambitieuse d’écrire. Une société dépourvue de goût littéraire, comme de hardiesse intellectuelle et de puissance politique, a seule pu faire la fortune de M. Sue, qui n’eût point été lu dans un temps où l’art eût été compris et honoré. Je place donc M. Eugène Sue fort au-dessous de Mme Sand dans la hiérarchie du talent, et je n’aurais point songé à envisager ces deux noms comme solidaires, si je ne les avais trouvés réunis sur l’arène de nos agitations quotidiennes, dans l’apostolat du socialisme.

Le camp opposé offre un spectacle différent, et présente au regard de la critique des noms revêtus d’un caractère plus sérieux et plus calme. Tous n’ont point écrit avec un même éclat, tous n’ont pas atteint au même degré de popularité ; mais, doués, quoique dans des proportions inégales, de puissance, de pénétration, de droiture d’esprit et de connaissances étendues, ils ont tous pris le bon sens pour règle, et,