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Nos voyageurs prennent les eaux à Pumpernickel, en Allemagne Magnificences de Pumpernickel, calmes grandeurs d’une petite ville allemande avant les explosions de l’année dernière ; joies ineffables du nabab Sedley revenu des Indes et se pavanant en habit brodé, l’épée au côté, dans les galeries du palais et dans la salle du bal, ce serait plaisir de vous décrire, si des intérêts plus pressans ne nous appelaient. Rébecca, rendue à sa vraie vie bohémienne, donnant des concerts, plaçant des billets de loterie, jouant au creps, — triste débris, — haillon de brocart traîné dans la boue, — rencontre la petite colonie dont Amélie est le centre et Dobbin le directeur ; le vieux Sedley a disparu de ce monde. Qui pourrait dire les transports de Rébecca en retrouvant sa chère amie et ce bon Joseph, — et comme quoi, pour recevoir son ex-adorateur, elle cache sous les draps de son lit sa bouteille d’eau-de-vie et son pot de fard ? Cette bouteille et ce petit pot font un bruit effrayant et se battent sous les draps pendant qu’elle s’assied sur le grabat de sa chambrette, ornée d’une seule chaise. Il lui suffit d’un tour de main pour ramener à ses pieds le dandy colossal et lui persuader qu’elle est victime des hommes et du sort. Amélie s’attendrit alors en faveur de la pauvre femme accablée par « une calomnie odieuse. » On lui donnera l’hospitalité, on la traitera comme une sœur, dit Amélie. Dobbin s’oppose vivement à ces projets, et Amélie se fâche.

— De quel droit, lui demande-t-elle, ne voulez-vous pas que je fasse une bonne action ? Cette pauvre Rébecca est mon amie d’enfance, vous le savez bien !

— Votre amie ! s’écrie Dobbin irrité à son tour, vous n’avez guère eu à vous louer d’elle.

— Monsieur, c’est trop ! vous insultez à la mémoire de George.

La jeune veuve se retira en fureur ; Dobbin était perdu dans son esprit pour lui avoir rappelé un souvenir défavorable à l’idole adorée. Le fruit de dix années de patience et d’abnégation est perdu. Amélie, qui s’est habituée à se laisser aimer de Dobbin sans l’aimer, regarde cette situation comme naturelle. Elle n’a pas même imaginé que Dobbin absent ou devenu indifférent lui manquerait. Dobbin est congédié durement ; Rébecca s’installe dans la famille et ne tarde pas à suivre à Ostende la petite colonie, qui va y passer un mois. Alors notre doux ami Dobbin, long-temps patient et sans volonté, se redresse ; la désillusion saisit ce cœur dévoué, l’injustice et la fausseté le désenchantent ; il part.

À peine a-t-il fait ses adieux, que la jeune veuve comprend à la fois sa faute, son ingratitude et la solitude qui va la saisir. Elle prend une grande résolution ; elle écrit en Angleterre, sans le dire à personne une petite lettre qu’elle met à la poste elle-même. À qui écrit-elle ? Le soir, en se retrouvant près de George, elle est agitée et confuse ; une partie