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de vieilles lettres d’amour, quantité de menus bijoux et de babioles féminines, — plus un portefeuille plein de billets de banque. Quelques-uns avaient dix ans de date ; un seul, de trois mille livres ; était récent : c’était celui qu’avait envoyé, lord Steyne.

— Vous a-t-il donné ceci ? dit Rawdon.

— Oui, répondit Rébecca.

— Je lui renverrai ce billet aujourd’hui (le jour paraissait, et bien des heures avaient été employées à cette recherche) ; je paierai Briggs, qui a toujours été bonne pour l’enfant, et quelques autres dettes. Vous me ferez savoir où il faudra vous envoyer le reste. Vous me permettrez en outre de prendre cent livres, Rébecca… J’ai toujours partagé avec vous.

— Je suis innocente ! cria Rébecca.

Rawdon la quitta sans ajouter un seul mot.

Elle resta immobile dès qu’il l’eut quittée. Des heures s’écoulèrent, et le soleil éclairait la chambre, que Rébecca était encore assise sur le bord du lit. Les tiroirs ouverts, les bijoux dispersés, habits et parures, écharpes et lettres amoncelés sur le tapis, — on aurait dit un pillage. Les cheveux de Rébecca flottaient sur son sein et ses épaules, sa robe était déchirée à l’endroit où Rawdon avait arraché l’agrafe. Au moment où Rawdon descendait l’escalier, où la porte s’ouvrit et retomba, Rébecca sortit un peu de son assoupissement ; elle devinait qu’il ne reviendrait plus. Se tuera-t-il ? se demanda-t-elle ; non, pas avant d’avoir tué lord Steyne. — Elle fit un retour sur sa vie passée, si éclatante et si triste, si active et si inféconde, si mêlée à la foule — et si solitaire par le cœur ! O pauvre créature damnée, fille de l’envie et de l’orgueil, je suis tenté de vous plaindre, vous, vos espérances, vos intrigues, vos ruses et vos triomphes !

La femme de chambre française la trouva au milieu des débris de son naufrage, les mains crispées, les yeux secs, les cheveux épars. Cette fille était vendue à lord Steyne.

— Mon Dieu ! madame, qu’y a-t-il ? dit-elle. Rébecca ne répondit pas. La servante ferma les rideaux, et d’un ton d’intérêt apparent ou réel engagea sa maîtresse à se jeter sur le lit ; ensuite elle descendit et recueillit les bijoux que Rébecca, sur l’ordre de son mari, avait jetés à terre, ils étaient encore : elle fit avancer un fiacre et disparut. Oncques on n’entendit parler d’elle ni des bijoux, si ce n’est, je crois, dans un des passages de notre grande ville de Paris, où M. Thackeray prétend l’avoir aperçue quelque part, dans une petite boutique de menues marchandises.

Adieu les vastes espérances de Rébecca ! Son château de cartes tombe et s’écroule. À midi, quand elle s’éveille ou plutôt sort de sa profonde torpeur, personne ne répond à sa sonnette ; le cordon se brise