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un bon de trois mille livres sterling à toucher chez le banquier du marquis était remis à Rébecca ; le lendemain, la valeur lui était comptée, et elle la déposait avec soin dans un certain tiroir secret ou dormait déjà un petit magot considérable inconnu de tous et surtout de son mari.


VII – LA CATASTROPHE.

Le triomphe de Rébecca touchait à son apogée, mais les dettes allaient leur train, et un beau matin, comme Rawdon, un cigare à la bouche, sortait à pied, pour respirer l’air, d’une fête où Rébecca avait remporté tous les succès, il fut appréhendé au corps et jeté dans le Spunging-House, maison de dépôt pour les débiteurs, que l’on y rançonne et y pressure comme des éponges. Ces réceptacles misérables se trouvent en général du côté de Chancery-Lane et de Temple-Bar. Des barreaux de fer massif ornent les croisées ; de nombreuses portes armées de lourdes serrures protégent les habitans. Un luxe malpropre règne à l’intérieur ; le damas des rideaux de soie est graisseux, et les tapis magnifiques sont tachés. Il se hâte d’écrire à sa femme qu’elle vienne le tirer d’affaire.

« Mon pauvre chat, lui répond Rébecca le matin, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit ; je n’ai pas cessé de penser à mon vieux Rawdon. Il a fallu que le docteur que j’ai envoyé chercher me donnât une potion calmante. Finette avait ordre de ne laisser passer personne ; aussi le messager de mon pauvre vieux, qui, par parenthèse, sentait horriblement le genièvre, a-t-il attendu quatre heures dans l’antichambre. Imaginez l’état où j’ai été quand j’ai lu votre chère lettre sans orthographe !

« Malade comme j’étais, j’ai fait atteler les chevaux à l’instant ; j’étais incapable de prendre mon chocolat. Il me faut absolument mon bonhomme pour me l’apporter. À peine habillée, j’ai été ventre à terre jusque chez Nathan le Juif. J’ai pleuré, j’ai prié, je me suis mise à ses genoux ; impossible de l’attendrir. Il veut son argent, ou tenir mon pauvre vieux en prison.

« Je suis revenue chez moi pour y prendre ce que je peux avoir de disponible et aller rendre à mon oncle la triste visite que vous savez. Ce cher oncle a déjà bien des choses, et ce qui reste ne nous donnerait pas cent livres sterling. J’ai trouvé milord chez moi, avec le monsieur en ski, celui qui tire sa moustache, avec Champignac et l’autre dandy Paddington, celui qui bégaie. J’attendais avec une impatience extrême qu’ils fussent partis, afin de chercher les moyens de délivrer mon prisonnier. À peine l’ai-je pu, je suis tombée aux genoux de milord, je lui ai dit que j’allais tout mettre en gage, qu’il me fallait deux cents