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il voudrait cependant une dualité plus réelle que celle qui se réduirait, comme le proposait la minorité de la commission, à juxta-poser à la chambre populaire une sorte de conseil des anciens dérivant du même principe que celle-ci. Les deux chambres, pour ne pas s’absorber l’une l’autre, devraient, selon lui, émaner de sources différentes qui seraient, par exemple, pour l’une l’élection, pour l’autre l’hérédité, ou représenter tout au moins des intérêts entièrement distincts. L’ancien président du conseil rend justice aux tendances gouvernementales du suffrage universel ; mais il ne l’accepterait que revu et corrigé. Pour que le suffrage universel soit éclairé, « il faut lui donner le temps, » et l’élection à deux degrés serait, d’après lui, le meilleur moyen d’amortir ce qu’il y a de trop primesautier, de trop irréfléchi dans les mouvemens de l’opinion populaire. M. Guizot a sur tout l’ensemble du nouveau régime des vues très détaillées qu’il déroulera un jour à la tribune, car il est décidé « à ne rentrer en France que si on l’y rappelle, » c’est-à-dire par la porte de l’élection. C’est, du reste, à la convocation de la seconde assemblée qu’il ajourne lui-même sa rentrée dans la politique. Aussi a-t-il refusé déjà plusieurs candidatures, et l’expression de ces refus n’avait rien de flatteur pour certains hommes d’état de février. Combattre la politique extérieure du gouvernement eut été de sa part, il l’avouait, une inconséquence, car cette politique était au fond la sienne, quoique amoindrie et gâtée ; » mais, en la soutenant, il aurait dû aller s’asseoir à côté d’hommes dont l’incapacité le révolte, et il préférait attendre. — S’ils ne sont pas exempts d’ironie, les jugemens que porte M. Guizot sur les hommes et les choses de février ne sont d’ailleurs jamais empreints de malveillance systématique. La révolution n’a pas d’appréciateur plus impartial, sinon plus infaillible. Est-ce affectation chez lui ? Je préférerais y voir la tendance instinctive d’un esprit généralisateur qui sait froidement déduire la théorie du fait, quel que soit le fait.

MM. Duchâtel et Dumon n’avaient pas la philosophie pratique de M. Guizot. Dans les premiers mois de leur séjour à Londres, l’un et l’autre supportaient l’exil avec une impatience égalé, tout en appréciant la situation à des points de vue différens. M. Dumon, en voyant chaque jour la république s’éloigner des théories anarchiques de février, paraissait disposé à penser que la réaction dans les idées pourrait bien amener la régularité dans les choses. M. Duchâtel, tout en tenant compte des tendances organisatrices des esprits, voyait dans le nouveau régime, tant qu’il ne serait pas fortement modifié, des germes permanens de désorganisation. Il ne lui donnait pas trois mois pour percer à jour les combinaisons les plus fortes. Le gouvernement par les masses, l’agitation organisée, effraient la rectitude administrative de M. Duchâtel, qui trouvait même exagérée l’action donnée aux partis