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dont le fractionnement était pour nous une sûreté, menaçait et menace encore de peser sur notre flanc oriental de tout le poids de ses quarante-cinq millions d’hommes, et nous avons encouragé l’unité allemande. À quel titre, d’ailleurs, aurions-nous protesté ? Nous ne reconnaissions plus les traités de 1815. À quel titre aurions-nous réclamé une compensation au déplacement de l’ancien équilibre ? Nous avions « désarmé notre ambition, » et on s’en serait souvenu, au besoin, pour nous. Restent nos idées. Elles ont fait, je l’avoue, bruyamment leur chemin à travers l’Europe ; mais qu’avons-nous gagné jusqu’ici à semer la révolution ? Une responsabilité sans profit et sans honneur, sinon sans péril. Avons-nous, par hasard, fortifié notre propagande en la dégageant de toute arrière-pensée de conquête ou d’intervention armée ? J’en doute. Odieuse aux rois, parce qu’elle était gratuite, suspecte à leurs sujets, parce qu’ils ne pouvaient croire au désintéressement dans la violence, ridicule ou perfide aux yeux des nationalités opprimées, parce qu’elle était stérile, elle nous a fait d’irréconciliables ennemis, et pas un ami. Puisque nous renoncions, après février, à traiter amiablement avec les monarchies, il fallait être logique. Il fallait, de deux choses l’une, ou nous abstenir complètement, ce qui eût assuré la paix dans le présent sans nous engager dans l’avenir, ou bien joindre la propagande le fait ; désarmer nos idées en même temps que nous désarmions notre ambition, ou bien donner, à l’idée armée l’appui de l’ambition armée. Le gouvernement provisoire était trop peu libre pour adopter le premier parti, trop faible pour recourir au second, je l’admets encore une fois ; mais on voudra bien l’admettre en retour : une politique qui se noyait ainsi entre deux branches, et qui, par un enchaînement fatal de contresens, se trouvait à la fois conduite à faire à l’étranger des concessions et à nous brouiller avec lui, à nous interdire la guerre tout en nous enlevant la sécurité de la paix, à nous désarmer en nous entourant de haines, cette politique était une déchéance. La révolution de février se défiait, non sans motif, des rois ; elle pouvait avoir intérêt à paralyser leur mauvais vouloir présumé en les occupant chez eux : soit ; mais n’était-ce pas une raison de plus pour garder tous nos avantages ? Les rois auraient songé peut-être à transiger avec nous, s’ils avaient cru voir, dans notre appel aux idées révolutionnaires, l’auxiliaire d’exigences territoriales : du moment, au contraire, ou nous déclarions ne rien demander pour nous, nous n’étions plus, à leurs yeux, que des fauteurs systématiques de rébellion, rêvant le désordre pour le désordre. Nos gouvernans provisoires ne s’y seraient pas mieux pris, s’ils avaient entendu susciter un duel à mort entre les monarchies européennes et la république de février. Sur les peuples, l’effet de cette attitude mixte, où semblaient respirer à la fois la provocation et l’impuissance, la bravade et la peur, a été plus désastreux encore pour notre