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716 REVUE DES DEUX MONDES. MAURICE , se levant. Mon Dieu! mademoiselle, recevez toutes mes excuses: rien n’est plus loin de ma pensée que de vous offenser; mais peut-être aussi faut-il pardonner un peu d’humeur à un homme qu’on vient réveiller sur les trois heures du matin pour lui faire subir une exécution aussi mortifiante qu’inexplicable. MADELEINE. Inexplicable! Est-ce vrai, oui ou non, ce que j’ai dit? M’avez-vous décriée? m’avez-vous appelée vampire? m’avez-vous évitée?... Évitée! pourquoi? Est-ce de votre âge? est-ce naturel?... Pourquoi vous occupiez-vous de moi, d’ailleurs? Qui vous en priait? Allons donc! soyez franc! vous m’aimiez, et vous espériez vous faire aimer à coups de singularités! MAURICE. Je serai franc, puisqu’il vous plaît ainsi. Je ne vous accuse point, mademoi- selle Madeleine : vous êtes sans doute ce que des circonstances indépendantes de votre volonté vous ont faite; mais, telle que vous êtes, le plus grand mal- heur qui puisse arriver à un honnête homme , selon moi , c’est de vous aimer. J’ai tâché de garer de ce malheur les deux êtres qui m’intéressent le plus au monde, à savoir : le comte Jean et moi. Voilà tout ce qu’il y a de vrai dans mon prétendu système. J’ai cherché à éloigner le comte de vous, et moi, je vous ai évitée, n’ayant pas encore vécu et souffert assez dans ce temps-là pour être sûr de moi comme je le suis aujourd’hui. MADELEINE. Ah! ah! vous étiez donc amoureux de moi, définitivement? MAURICE. Non, mais j’avais peur de le devenir. MADELEINE. Ça ne signifie rien, cette distinction... On est amoureux, ou on ne l’est pas! MAURICE. Il en est de l’amour comme du choléra; le tout est de le prendre à temps. MADELEINE. Excusez ma curiosité; mais je ne conçois pas ce qu’un homme comme vous aurait pu aimer en moi. MAURICE. Suis-je aveugle ou stupide? Jamais créature humaine fut-elle, comme vous, douée , sans réserve, sans mesure, de tous les enchantemens qui peuvent trou- bler et ravir un cœur? Est-il une grâce qui vous manque? un détail de votre visage qui ne semble modelé par la main complaisante et délicate d’une mère? Si l’éternelle jeunesse, déesse du sourire et de la beauté, prenait une forme mor- telle, Madeleine, vous auriez une sœur, mais non une rivale... Ce que j’aurais pu aimer en vous! le voilà... et voilà aussi ce que j’ai maudit souvent... Était-ce du dépit, de la jalousie? je ne sais; mais, en face de cette création si parfaite et si ingrate, si divine et si déchue, en voyant gaspillés, flétris, jetés au vent sans pitié tant de bienfaits qui ne vous servaient qu’à offenser celui dont vous les tenez... j’ai éprouvé quelquefois pour vous un sentiment qui ressemblait à de la haine. S’il m’estéchappé, à votre sujet, quelques paroles amères, en voilà le secret.