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désormais, grace à nous, en Europe que « des gouvernemens affaiblis, des peuples en anarchie, des nationalités opprimées. » Ce tableau est chargé ? Chaque jour, depuis février, n’a-t-il pas mis à nu une plaie nouvelle de notre situation extérieure sous les lambeaux de pourpre dont M. de Lamartine l’avait enveloppée ? « La France, s’écriait pompeusement le brillant poète en proclamant pour la seconde fois l’abrogation des traités de 1845, la France a désarmé son ambition, mais elle n’a pas désarmé ses idées ! » Et la France, encore sous le charme, n’a vu que le cri d’une pensée généreuse dans ce qui n’était que le triste aveu d’une politique d’expédiens. N’applaudissions-nous pas, hélas ! à une double faute ? Il est, je le sais, plus facile de blâmer aujourd’hui qu’il ne l’était de gouverner il y a neuf mois. La France était au pouvoir d’un parti violent qui rêvait l’incendie de l’Europe. Il s’agissait tout à la fois pour M. de Lamartine, d’une part, de gagner la confiance de ce parti pour mieux le contenir : de là les encouragemens officiels donnés à la propagande révolutionnaire ; d’autre part, de pallier, aux yeux des puissances, cette provocation en nous liant les mains pour la guerre : de là l’abandon spontané de toute idée de conquête. Mais ce qui justifie l’homme ne justifie pas le résultat. Les nécessités d’où est sorti ce compromis ont disparu ; les nécessités qu’il a créées restent, et il y aurait imprudence à les méconnaître, aujourd’hui surtout qu’une nouvelle ère politique s’ouvre. Qu’avons-nous gagné d’abord à désarmer notre ambition ? Rien, je le crains, si ce n’est le désarmement de notre influence. Les traités de 1815 nous donnaient, après 1830, par la chute du pouvoir qui les avait acceptés, une sorte de créance territoriale sur nos voisins : nous l’avons gratuitement déchirée. Rois et peuples tenaient les yeux fixés, ceux-ci avec un sentiment de reconnaissance ou d’espoir, ceux-là avec un sentiment de ménagement et de crainte, sur l’épée nue que nous consentions à ne pas abaisser sur l’Europe et nous l’avons remise sans condition au fourreau. Les premiers nous savaient gré de ne pas exercer notre ambition précisément parce qu’elle était armée, et ils payaient notre désintéressement en concessions tant intérieures qu’extérieures ; les seconds, selon qu’ils avaient à résister à l’absolutisme du dedans ou à l’oppression du dehors, s’appuyaient sans scrupule sur notre propagande, qui ne froissait plus désormais leur orgueil national, ou se retranchaient derrière nos droits, que nous pouvions revendiquer au premier coup de canon de la sainte-alliance l’Europe, en un mot, ne pouvait faire un pas sans sentir le lien matériel et moral qui rattachait ses destinées à la pensée de la France, et ce lien, nous l’avons de gaieté de cœur rompu. Est-ce tout ? En laissant l’Europe remanier et se partager à sa guise la carte politique de 1815, avons-nous du moins stipulé le maintien des garanties que nous offrait l’ancien classement des nationalités ? Bien au contraire. L’Allemagne