RÉDEMPTION. 691 quefois; car je ne puis deviner pourquoi il fa créé ni à quoi tu es bon sur la terre, si ce n’est à me distraire quand Je sors de mon bureau. Calme-toi, donne- moi un cigare, et puis tu me diras la vérité sur la planète Leverrier, car je ne sais plus du tout à quoi m’en tenir. ISAAC. Va, va, je te pardonne, méchant enfant. Eh! eh! je suis bien aise de te voir si guilleret... Tu es gai comme pinson, ce soir, mon cher fils... Tuas peut-être dîné chez M. de Metternich? MAURICE. Non; mais j’ai eu une aventure charmante dans une église, etje suis enchanté de voir chaque jour la vérité de mon système confirmée par Texpérience. Tu sais, vieux père, qu’après m’ être fort ennuyé, je me suis aperçu dernièrement que l’ennui était la maladie des paresseux et des sots. ISAAC. Et tu as bâti un système là-dessus, mon garçon ? MAURICE. Un système qui consiste spécialement à ne pas chercher midi à quatorze heures. Il faut se soumettre avec simplicité à sa nature, voilà tout. La première loi de la vie humaine, c’est le travail. Je me suis mis à travailler. Restent les loisirs. Eh bien! je disque la sensibilité et l’imagination la plus vive peuvent trouver une source suffisante d’émotions et de joies dans la contemplation de l’œuvre de Dieu d’abord, et ensuite dans les hasards merveilleux, dans les com- binaisons infinies que présente le mouvement de la vie sociale autour de nous. A chaque coin de buisson, il y a une idylle; à chaque bout de rue, il y a un poème ou un roman qui se promènent. ISAAC. Eh ! eh ! bon pour l’esprit cela; mais le cœur, le cœur? MAURICE. Qu’appelles-tu le cœur? Veux-tu parler des passions factices qu’invente le désœuvrement du monde ? ISAAC. Je parle des femmes, mon petit philosophe, des bergères, des bergeronnettes. MAURICE. Ah! ah! Eh bien! j’ai encore découvert que, dans la pensée de Dieu, il n* y. a que deux femmes qui doivent se trouver mêlées à la vie de chaque homme, pour son bonheur : sa mère et la mère de ses enfans. Hors de ces deux amours légitimes, entre ces deux créatures sacrées, il n’y a qu’agitations vaines, qu’illu- sions douloureuses et ridicules. ISAAC. Enfant! petit enfant! tu n’es pas si détaché que tu le crois de ces illusions-là. MAURICE. Je vous atteste, vieux criminel, que je n’y tiens plus que par un fil, et un fil qui sera bientôt rompu, car j’y emploie toute ma force. ISAAC. Ge fil, c’est un amour ?
Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/697
Cette page n’a pas encore été corrigée