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084 REVUE DES DEUX MONDES. LE CURÉ. Vous êtes bien jeune, mon enfant, pour disposer d’une somme aussi considé- rable. MADELEINE. Monsieur le curé, je suis Madeleine du théâtre impérial. LE CURÉ, prenant les billets. Donnez, mademoiselle. Je m’en charge de grand cœur. MADELEINE. Merci. N’en parlez point, monsieur le curé, je vous prie. LE CURÉ. Non, non, mademoiselle. Ce sera une petite bonne fortune à nous deux. MADELEINE. Oui, s’il vous plaît. J’ai aussi à vous remettre dans la même intention deux souverains de la part d’un jeune homme que je ne connais pas et qui se trou- vait dans l’église, quand je suis arrivée. Eh bien! où sont donc ces deux souve- rains?... N’importe... en voici deux autres, si cela vous est égal. (Elle prend deux pièces d’or dans sa bourse.) Vous le connaissez peut-être, vous, monsieur le curé, ce jeune homme? LE CURÉ, souriant. Je ne l’ai pas aperçu. Je connais d’ailleurs très peu de jeunes gens. Ils s’adres- sent plus volontiers à vous qu’à moi, ma belle demoiselle. MADELEINE. Mon Dieu ! monsieur le curé, on en dit plus qu’il n’y en a, allez. LE CURÉ. Je le crois, je le crois, (il la regarde avec attention. Madeleine, un peu troublée et comme ne sachant que dire, se lève brusquement.) Vous avez, dit-on, mademoiselle, beaucoup de talent; c’est un superflu dont on doit savoir gré à une jolie personne comme vous. Vous jouez ce soir une pièce nouvelle, si je ne me trompe? MADELEINE. Comment! monsieur, vous savez ces misères? LE CURÉ. Je vais vous donner de moi une mauvaise opinion, mademoiselle Madeleine. MADELEINE. Oh ! monsieur le curé ! LE CURÉ. Tant que je suis de ce monde, mon enfant, je tiens à savoir ce qui s’y passe : c’est à moitié une curiosité -que j’ai, à moitié un devoir que je m’impose. Je lis les journaux tous les matins; je ne m’attache point de préférence, comme vous pensez bien, aux articles de théâtre, mais je ne puis prendre sur moi de n’y pas jeter les yeux. Le théâtre a été de tout temps mon côté damnable; c’est par où le diable m’a toujours tenté avec le plus d’ai)parence de succès : il est si fin! MADELEINE. Monsieur le curé, le diable est un sot, selon moi, mais vous êtes bien aimable et bien bon, vous. LE CURÉ. Eh ! mon enfant, la bonté est le seul charme qui soit permis aux vieillards;