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Louis-Philippe supporte difficilement la contradiction ; mais, sous ce rapport, la déférence de ses interlocuteurs est fort à l’aise, car, si le sujet lui plaît, il fait volontiers à lui seul tous les frais de la conversation. Il pense alors tout haut plutôt qu’il ne cause. Toujours facile et nette, sa parole a pris certain tour d’abondance sénile. L’âge, le brusque changement apporté dans les habitudes du vieux roi, l’éclat de foudre si soudain qui a réveillé sa sécurité trompée jusqu’à la dernière heure, ont légèrement détendu, sans toutefois les affaiblir, les vigoureux ressorts de cette intelligence si universelle et si pratique.

L’attitude de la comtesse de Neuilly est la résignation, une résignation ou se laisse entrevoir je ne sais quoi de doux et de hautain à la fois, comme un double reflet d’humilité religieuse et de fierté blessée. À Claremont comme aux Tuileries, la politique semblait être l’une des moindres préoccupations de Marie-Amélie, qui ne voulut être reine que par la bienfaisance. On devinait pourtant, à quelques éclairs mal contenus de cette pensée austère, que, si Marie-Amélie avait gouverné la France, la royauté ne serait pas partie sans tirer l’épée. La publication des correspondances que le respect des uns, la curiosité des autres, ont sauvées du sac des Tuileries, jettera peut-être un jour d’intéressantes lueurs sur ce côté peu aperçu du caractère de la reine. Il nous a été permis de parcourir plusieurs lettres qu’elle écrivait au prince de Joinville, alors en campagne, et où, par parenthèse, elle grondait le jeune marin sur sa paresse en l’engageant à prendre exemple sur les habitudes studieuses du duc d’Aumale. Au milieu des sublimes puérilités de l’amour maternel surgissaient çà et là de brèves appréciations qu’on eût dit échappées à un génie viril, des pensées d’une concision et d’une vigueur étranges, que matérialisait en quelque sorte, pour le regard et pour l’oreille, le trait carré et hardi de cette main sexagénaire, l’énergie sobre de l’expression.

De tous les membres de la famille d’Orléans, le duc de Nemours est le plus calme. L’espèce d’isolement politique où il vivait sur les marches même du trône, la conscience de l’injuste partialité qui l’effaçait, dans l’esprit des masses, au profit de ses frères, l’avaient en quelque sorte préparé aux tristesses de l’exil. Sa résignation a peut-être une source plus intime encore. Si je ne craignais d’exagérer une nuance très délicate, très peu saisissable du caractère de l’ancien régent présomptif, je dirais presque qu’il était le légitimiste de la famille. Le duc de Nemours, c’est un fait accepté par des hommes qui l’ont connu, eût au fond mieux aimé avoir pour père un lieutenant-général du royaume qu’un roi des Français, et il pressentait avec une sorte de conviction superstitieuse la ruine d’un intérêt fondé sur le sol mouvant du droit révolutionnaire. De là peut-être l’espèce de froideur qu’on lui reprochait et cette indifférence plutôt désintéressée que dédaigneuse qu’il