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heureuse Italie, qui se videront bien moins encore sans l’intervention de l’étranger ! Les républicains de Rome et de Florence imaginent-ils peut-être que le pape restera toujours à Gaëte, et le grand-duc à l’île d’Elbe ? L’anarchie qui a chassé les souverains provoque incessamment l’invasion qui les ramènera.


— Les récentes perturbations et la profonde incertitude auxquelles sont livrées depuis un an les destinées de l’Italie donneraient au livre de M. de Custine, Romuald ou la Vocation[1], un degré d’intérêt très vif, si, en dehors même des éventualités douloureuses de la politique, cet ouvrage ne méritait d’attirer l’attention et de faire naître la controverse. Louons d’abord le grand respect de l’écrivain pour lui-même, pour le public et pour l’avenir, vertu rare dans une époque où les livres qui se disent sérieux ne manquent pas, mais où les livres écrits sérieusement se laissent désirer. À toutes les pages de Romuald, vous reconnaissez le soin curieux de l’artiste ; il y a là des années d’étude et de pensive élaboration. Peut-être même la trace des années qui se sont écoulées pendant le travail y est-elle trop visible. Le livre coule bas sous une charge excessive de philosophie, de drame et d’idées, comme le disait un Genevois de beaucoup d’esprit, M. Simon, à propos de certaines œuvres du commencement de ce siècle. En pénétrant plus avant que la forme, on aperçoit clairement un but philosophique très contestable, bien que d’une grande profondeur. Le christianisme arboré comme drapeau, Rome appelée à devenir une seconde fois la maîtresse spirituelle du monde renaissant, voilà le but. Un Hamlet moderne, Romuald, nature germanique et rêveuse, échauffée et illuminée par la foi, voilà le personnage créé pour réaliser cette pensée dans la sphère humaine. Une passion violente et éveillée par un être démoniaque, une femme née princesse, essayant tout pour échapper au marasme de cette civilisation excessive dont elle est à type, le produit et le modèle, voilà le ressort du drame. Enfin, l’œuvre a pour dénoûment la conversion du Hamlet protestant, qui devient, à travers les orages, les vices, les angoisses et les épreuves, l’un des athlètes de la foi romaine le plus fervens. On voit par combien de côtés le plan de cet ouvrage original dépasse les conditions ordinaires d’un récit d’imagination ou d’un écrit de controverse ; il y a de l’un et de l’autre et, plus encore, des peintures très satiriques et très aiguisées de la mauvaise compagnie d’en bas et de la mauvaise compagnie d’en haut. Le livre, d’une nature rare, distinguée et exquise, n’échappe pas aux malheurs de sa distinction même, de sa fécondité, de sa multiplicité ; mais il a le charme et la puissance que ces mérites entraînent. Nous sommes loin d’accepter le parti anti-septentrional et ultra-méridional de l’auteur ; nous aurions bien des choses à dire sur ses jugemens et ses théories ; mais la tradition de l’ancienne société, l’intuition du monde moral, la seconde vue du monde mystiques mêlées et confondues dans une œuvre singulière et neuve, offrent un objet d’études des plus intéressans. De cette triple subtilité, souvent éloquente et passionnée, souvent spirituelle et caustique, résulte un livre dont le souvenir restera, et qui nous semble le titre le plus notable et le plus caractéristique de l’auteur.


V. de Mars.
  1. 4 volumes in-8o, chez Amyot, rue de la Paix.