Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/684

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proposition Lanjuinais : 424 voix contre 387 ont donné tort à la tactique de M. Senard, qui tentait d’éluder encore ces conditions désormais sacramentelles.

Au milieu des alternatives de ce conflit plus ou moins imminent entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, le gouvernement s’efforce d’être à la fois ferme et réservé. Le langage de M. Barrot dans la discussion de la loi sur l’organisation judiciaire allait bien de pair avec cette verte éloquence que M. Dupin retrouve comme à point nommé toutes les fois que sa robe de magistrat est en cause. Grace à M. Barrot et à M. Dupin, cette nouvelle institution qu’on veut donner à la magistrature n’aura presque plus rien du caractère révolutionnaire qu’elle avait pris dans le projet primitif de M. Crémieux, qu’elle gardait encore un peu dans le projet, maintenant réformé, de M. Marie. Vous souvient-il de M. Crémieux déclarant l’inamovibilité des magistrats incompatible avec le gouvernement républicain, et de cela pourtant il n’y a pas encore une année ? M. Barrot a été mis à une épreuve plus difficile. Le maréchal Bugeaud dit toujours d’excellentes choses, mais il les dit souvent comme elles lui viennent ; puis, il est de ces gens qui vont droit au but, il passe tranquillement au trot de son cheval sur ces bagatelles de la porte qu’on appelle les convenances parlementaires ; puis enfin, vivant avec nous dans un temps où la stricte légalité n’est le plus cher souci de personne, il en prend aussi à son aise ; il parle juste et fort, sans s’inquiéter si c’est à lui de parler. Que voulez-vous ? la force est la force ; ce n’est pas nous qui avons créé la nécessité de ce régime-là. M. Coralli a donc demandé compte à M. Barrot des conversations tenues par le maréchal, soit à Bourges, soit à Lyon, conversations, du reste, assez peu authentiques. Le président du conseil a su ménager toutes les situations avec beaucoup de tact ; il n’a couvert que ce qu’il devait couvrir, et il s’est associé aux vigoureuses protestations du maréchal Bugeaud contre un retour quelconque de l’anarchie. L’ordre du jour irritant déposé par le patriotisme insidieux de M. Coralli a été repoussé ; la gauche en est encore pour ses frais de désunion. Nous félicitons M. Barrot de sa courageuse attitude en face du désordre ; le voilà maintenant qui se défend comme d’une injure d’avoir fait retirer les troupes au 24 février. Nous le remercions de redresser ainsi nos souvenirs, qui étaient sans doute brouillés, et nous apprécions le sens énergique de cette déclaration officielle. Quant à M. Faucher, il casse les maires et révoque les préfets en faute avec une certaine âpreté de commandement qui n’a malheureusement rien d’excessif à une époque où il faut, avant tout, rapprendre l’obéissance.

Le radicalisme, en effet, n’est pas près de se corriger. On aura beau poursuivre la polémique incendiaire de M. Proudhon et livrer M. Proudhon lui-même aux tribunaux, il le disait aujourd’hui à l’assemblée qui le condamnait : « Je suis de ceux qu’on tue ou qu’on réfute, mais qu’on ne punit pas. Le fond du radicalisme, c’est cet orgueil idolâtre avec lequel le monstre se caresse. Lisez la grande querelle de M. Considérant et de M. Proudhon, vous aurez la mesure de ces féroces vanités ; ce sont des dieux aux prises, mais non pas les dieux d’Homère, rien que des dieux boxeurs. Le bas et le grotesque le disputent à l’atroce, dans ce pugilat philosophique, et le plus beau de toute l’histoire, c’est que sous la philosophie il n’y a dans le fond qu’une rivalité de boutique. M. Proudhon vient d’organiser cette illustre banque où l’on trafiquera des bons de fourniture à peu près comme certains indigens trafiquent des bons de