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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 février 1849.

La reconnaissance est une des plus douces vertus qui soient de mise dans la vie privée. Elle se plaît à rappeler les services rendus, même quand il n’y a plus à supposer qu’on en recevra d’autres ; elle ressent à peine le mal que peuvent faire ceux qu’elle honore, tant elle est pénétrée du bien qu’ils ont fait. Cette précieuse et conciliante vertu n’a pourtant point de place dans le rude engrenage de la vie politique ; il est permis de s’en affliger, il n’est pas permis de l’ignorer. Les gens restent là sur leurs pieds tant qu’ils sont bons à quelque chose. Une fois leurs mérites épuisés et leur temps accompli, il n’y a pas de pudeur qui tienne, on leur insinue, on leur démontre, on leur crie qu’ils sont de trop. Veulent-ils par hasard chicaner sur la semonce et ne se rendre qu’à condition ? l’assaut redouble, on les prend à tic, toute leur gloire n’est plus que litière sur laquelle on trépigne, ou fumée sur laquelle on souffle.

Si notre constituante de 1848 eût écouté jusqu’au bout certains conseillers, elle aurait décidément oublié cette éternelle loi de toute existence publique. Elle les a même assez long-temps écoutés, pour n’avoir pas su se retirer de bonne grace et céder à propos. De ce qu’elle a été très utile, elle concluait imperturbablement qu’il était abominable de ne plus la croire essentielle ; et quoi qu’on pensât de ses homélies d’aujourd’hui, elle entendait que l’on continuât de le admirer par égard pour ses homélies d’autrefois. C’était là du moins l’argument des cœurs naïfs qui ne souffrent pas qu’on laisse refroidir d’anciennes tendresses, et qui finissent par devenir odieux à force de vouloir qu’on les aime toujours. Nous avouons d’ailleurs qu’il ne manquait pas, dans la circonstance, d’argumens plus positifs : tout le monde ne se blesse point au même endroit. S’il est d’excellentes ames qui se désolaient qu’on ne leur eût plus assez de gré des œuvres de leur patriotisme, il est des esprits calculateurs qui savaient estimer comme il faut le prix quotidien dont on paie leur labeur représentatif, et qui n’étaient nullement pressés de renoncer pour leur part à cet honorable salaire. Loin de nous l’intention d’offenser en rien la majesté du parlement que nous a produit le