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Aussi l’incertitude et l’angoisse croissaient d’heure en heure sur les bancs, quand un orateur se leva pour tirer l’assemblée de peine. Ce n’était pas un républicain de vieille date, ni même d’une étoffe bien solide : c’était un républicain de circonstance, traversant la république comme il avait passé par deux dynasties, pour y donner quelque représentations d’un beau talent, et faire admirer, sur des airs nouveaux, la flexibilité de sa voix. Quand on ne sait comment choisir, dit-il à l’assemblée incertaine, il y a un moyen simple, c’est de tirer au sort, et, à tant faire que de jouer, il faut multiplier les chances. Mettez à la grande loterie, à la loterie du suffrage universel. L’assemblée suivit ce conseil, et joua sur un coup de dé les destinées de la France.

Les dés étaient pipés, nous le croyons, car ce ne fut pas le hasard qui répondit. Le pays, ainsi consulté à l’aventure, renvoya à ses mandataires le choix le plus imposant qui soit sorti d’une urne électorale. Devant une assemblée élue souvent à de faibles majorités dans des jours d’éblouissement, usée déjà par bien des luttes, se dressa tout d’un coup un pouvoir, émané de la pensée libre et calme du pays, fondé sur la plus large base qui fut jamais, et, à défaut d’illustration personnelle, couronné, à sa cime, du dernier rayon d’une gloire immortelle. C’est ici qu’a commencé le second acte de ce curieux drame.

Dans l’intérêt de son pouvoir, comme de la liberté générale, l’assemblée, que ce choix d’ailleurs ne satisfaisait que médiocrement, a voulu prendre ses précautions pour empêcher que tout ne fût entraîné dans cet irrésistible mouvement des populations. Elle a cherché à maintenir ses prérogatives contre ce droit nouveau et envahisseur qui menaçait de tout absorber. Il semblait naturel de chercher ses garanties contre un tel péril dans la forme même de la constitution républicaine. Après tout, le chef élu par la nation, même à cinq millions de voix, était un chef républicain. À ce titre, il était nécessairement responsable de ses actes ; aucune inviolabilité ne le préservait, en cas d’abus, de trahison ou d’erreur, contre les lois pénales de son pays. La constitution remettait même à l’assemblée l’examen et la décision de ces cas de responsabilité. On fit donc en toute hâte une loi pour organiser cette responsabilité dans des proportions étroites et menaçantes. En y regardant de plus près, cependant, l’assemblée s’est aperçue, ici encore, que cette responsabilité avait beau être écrite dans les lois : elle courait risque d’être vaine dans les faits. C’est quelque chose de si grave, en effet, que de mettre en cause la responsabilité du chef suprême d’un état, que chacun y regarde à deux fois avant de recourir à ce terrible moyen. Qu’on songe à ce que c’est que d’aller chercher dans son palais, au milieu des gardes qui l’environnent, l’élu du peuple et le commandant de la force armée ! À force d’être redoutable, cette grande arme de la responsabilité finit par être illusoire. On a si peur de se blesser en y touchant, qu’on n’oserait jamais s’en servir. La responsabilité du chef de