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universel ? Rien n’égalait dans ce débat les objections d’un des côtés, si ce n’est celles de l’autre. Chaque système réussissait merveilleusement à réduire l’autre à l’absurde. « Elu par l’assemblée, disaient les partisans du suffrage universel, le président ne sera que son serviteur et son agent ; il se confondra avec elle ; il dépendra d’un caprice de ses volontés ; le pouvoir exécutif sera sous le joug absolu du pouvoir législatif. Les deux ne feront plus qu’un, et, dans ce mélange tyrannique toute liberté disparaîtra. Il a plus de liberté en effet (ajoutaient-ils et avec raison), quand c’est le même pouvoir qui fait les lois et qui est chargé de les appliquer. Au lieu de faire les lois en vue d’un but d’utilité générale et pour des considérations de quelque durée, on les fait ou on les révoque en vue d’une application particulière. On les fait quand elles sont commodes, on les révoque quand elles gênent. C’est ainsi qu’on procédait à la convention en 93 ; c’est ainsi qu’on fait encore à Constantinople, dans le conseil du Grand-Turc. » — « Elu par le peuple, répondaient les défenseurs de l’assemblée, le président tiendra son pouvoir de la même source que l’assemblée elle-même : il pourra se dire aussi bien qu’elle représentant de la volonté populaire, avec cette différence que, tandis que dans l’assemblée la représentation nationale est éparse et partagée entre neuf cents membres, elle reposera concentrée sur la tête d’un président avec toute la force de l’unité. Qui sera suffisant pour tenir tête à cette double influence de la force matérielle du pouvoir et de la force morale de l’élection ? Qui pourra résister au représentant de plusieurs millions d’hommes marchant à la tête de cinq cent mille soldats ? Vous allez faire de vos mains un piédestal au despotisme. » L’assemblée républicaine écoutait ces objections avec un égal étonnement. Elle les pesait et les trouvait, à sa grande surprise, parfaitement justes et également fortes les unes et les autres. Ces vieilles leçons de l’expérience avaient pour elle, à ce qu’il paraît, le mérite de la nouveauté. Elle ne se serait jamais doutée qu’il fut si difficile de constituer le pouvoir exécutif dans un grand pays ! Elle n’avait jamais entendu dire que l’élection appliquée au pouvoir suprême avait l’inconvénient d’imposer à l’élu trop de dépendance ou de lui donner trop d’ascendant. Elle ne savait pas que l’élection, étroite et disputée, crée une autorité affaiblie, — large et unanime, une autorité menaçante. À combien de membres vint-il alors à l’esprit que c’était peut-être pour sortir de cette alternative périlleuse que la sagesse des âges avait imaginé de faire dériver le pouvoir exécutif d’une autre source que l’élection ? Combien pensèrent alors qu’un pouvoir héréditaire, n’eut-il que cet avantage de tirer un pays de cet embarras, n’était pas, après tout, une institution si factice qu’on voulait bien le dire ? Nous l’ignorons Quand ces pensées-là se présentent, on ne peut pas dire tout haut dans l’enceinte même ou, dix-sept fois en trois heures, on a acclamé la république.