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torrens révolutionnaires dont nous décrivions plus haut la marche désordonnée. Après que ces masses composées de tant d’élémens divers ont remporté leur première victoire, elles se débandent ; les meneurs et les habiles s’arrête et plantent leur tente au moment qu’indiquent à chacun le coup d’œil de sa raison, le sang-froid de son tempérament, les suggestions de son intérêt ; le gros de la troupe, c’est-à-dire tout ce qui est radicalement insensé, tout ce qui est esclave d’un fanatisme incurable ou d’une brutalité effrénée, tout ce qui est incapable de conserver et ne sait que détruire, en un mot, l’anarchie pure va se faire écraser dans un dernier combat. C’est ce que nous avons vu arriver sous nos yeux ; c’est ce qui arriva au XVIe siècle. Les anabaptistes et les paysans furent massacrés ; mais les princes qui s’étaient emparés du pouvoir spirituel, mais les nobles qui s’étaient enrichis des dépouilles de l’église, mais les hommes de doctrine qui avaient fixé leurs croyances dans la formule d’un système, s’étaient arrêtés avant. De jour en jour, le zèle se refroidit, et l’intérêt prévalut ; la foi disparut, il ne resta plus que la politique. Les guerres religieuses devinrent des guerres d’équilibre. À la paix de Westphalie, le protestantisme politique ne représentait plus une idée expansive ; il n’était qu’un poids dans la balance européenne.

Quelles furent donc les conséquences morales, quels furent les progrès qui résultèrent du gigantesque conflit qui déchira la chrétienté et la civilisation européenne. D’abord, le catholicisme n’a rien perdu à la réforme ; il n’a rien perdu, il a gagné au contraire en matière de dogme, de discipline et de constitution. Un grand nombre d’esprits, amis où ennemis, ne veulent voir la splendeur du catholicisme que dans le moyen-âge ; ils ne conçoivent pas sa grandeur dans les temps modernes. Je m’explique cette erreur chez ceux qui ont intérêt à faire croire à la décadence du catholicisme, je ne la comprends pas chez des catholiques. À entendre ces partisans du moyen-âge, on dirait que cette époque a été sans périls, sans orages, sans échecs pour l’église. La papauté était-elle donc plus forte aux temps où un empereur et un anti-pape chassaient de Rome Grégoire VII, et où un roi de France faisait insulter par un avocat et souffleter par un soldat Boniface VIII ? Les princes étaient-ils plus pieux aux temps ou un roi faisait assassiner Saint Thomas de Cantorbéry ? L’autorité de l’église était-elle plus respectée durant ces schismes séculaires qui tenaient la chrétienté indécise et scandalisée entre deux papes celui de Rome et celui d’Avignon ? Je ne parle pas même des mœurs ; mais croit-on que la foi fût uniforme et pure lorsque l’hérésie, écrasée chez les albigeois de France, allait éclater chez les lollards d’Angleterre, soulevait les hussites de Bohême, et couvait sous une compression impuissante le feu où la réforme allumerait un jour son incendie ? L’hérésie a toujours existé au moyen-âge ;