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remontrances n’étaient point écoutées, de dire la messe en présence de tous les représentans des puissances catholiques, de réciter ce texte de l’Évangile : « Si l’on ne vous reçoit point, et si l’on ne veut point entendre vos discours, sortez de la maison ou de la ville en secouant la poussière de vos pieds, » et de sortir effectivement de Vienne ; mais plia sous cette foi impérieuse, inflexible. La cour de France donna de plus vifs soucis encore à Pie V. La rigide droiture de son caractère répugnait à la politique ambiguë de Catherine de Médicis. Lorsque les protestans se révoltèrent sous le prince de Condé et traitèrent avec les états réformés d’Allemagne et avec Elisabeth, Pie V envoya cinq mille hommes au secours de Charles IX, et fut l’ame d’une coalition catholique opposée à la ligue protestante ; mais il protesta contre la pacification menteuse qui suivit la victoire de Moncontour et qui devait se dénouer par le crime de la Saint-Barthélemy. Au langage que Pie V tenait aux princes dont la politique humaine lui eût plutôt conseillé de ménager l’esprit vacillant, on peut juger qu’il ne devait point faiblir vis-à-vis de ceux dont la fidélité lui était assurée. Aussi les services rendus par Philippe II au catholicisme ne l’empêchèrent pas d’opposer souvent une résistance invincible aux prétentions absolues de la cour d’Espagne. Deux fois il lutta avec l’Espagne pour les immunités ecclésiastiques ; il conseilla à Philippe II la clémence envers l’infant don Carlos ; il essaya enfin d’arracher Philippe à cet Escurial, où s’immobilisait son esprit sombre, pour le pousser sur le théâtre de la lutte active, en Flandre. Tant de préoccupations ne suffisaient point encore à l’ame ardente de Pie V. Les guerres civiles du monde chrétien ne l’empêchaient point de faire face aux ennemis extérieurs de la chrétienté. Pie V n’est nulle part plus sublime que dans sa lutte avec les Turcs. Les Osmanlis étaient alors encore dans la fougue de l’esprit de conquête. Soliman et Sélim, après lui, étaient l’effroi de l’Europe méridionale. Pie V leur opposa le cœur d’un croisé. Il soutint par des secours en argent et en hommes, et plus encore par la martiale intrépidité de ses exhortations, l’héroïque Lavalette et ses chevaliers, aussi inébranlables que le roc de Malte, où deux fois à leurs pieds vint se briser la fureur Ottomane. Lorsque Soliman envahit la Hongrie, Pie V entraîna les princes d’Italie, publia un jubilé, et Soliman disait : « Je crains plus les prières de ce pape que tous les efforts de leurs armes. » Enfin les Turcs, repoussés partout, se précipitent sur Chypre ; Pie V implore les princes catholiques, réunit la flotte de don Juan d’Autriche, la lance à la Victoire de Lépante, et meurt en prêchant la dernière croisade. Et ce pape qui porta si fièrement la tiare aux trois couronnes, qui, en six années, donna partout au catholicisme l’impulsion triomphante, qui, par son imployable volonté ranima partout le principe d’autorité affaibli par tant de coups, qui fit retentir dans le monde moderne