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par les abus, d’ames généreuses éprises des améliorations, d’ambitieux qui flairent le butin dans les ruines futures, d’esprits faibles que les nouveautés séduisent, d’esprits pervers que la destruction enivre de jeunes gens qui croient grandir leur vie en courant à toutes les sensations, à tous les hasards qui tentent leur fougue, de désespérés qui jouent avec fureur sur une dernière chance tout ce qu’ils ont perdu jusque-là en échecs et en déceptions : le branle une fois donné, la multitude suit en démence. À voir en mouvement ces cohues d’idées, de passions, d’intérêts, d’hommes, on dirait les armées d’invasion des temps barbares qui, dans leur marche de torrent, charriaient avec elles les peuples de toutes les langues et de tous les climats. Quand cette avalanche se rue sur le principe d’autorité, rien ne lui résiste, ni la raison, ni la vertu, ni l’héroïsme. Le principe d’autorité est un instant englouti ; mais l’anarchie révolutionnaire se détruit elle-même. En disparaissant, le principe d’autorité semble porter contre les sociétés ce jugement qu’un prophète met dans la bouche de Dieu : « Leur ame a varié envers moi, et je leur ai dit : Je ne serai plus votre pasteur. Que ce qui doit mourir aille à la mort, que ce qui doit être retranché soit retranché, et que ceux qui demeureront se dévorent les uns les autres. » Arrêt terrible que les révolutions exécutent fatalement contre elles-mêmes.

Il n’est plus permis aujourd’hui, après les expériences que nous avons faites, à un historien, à un philosophe, qui ont à juger les puissans athlètes qui relèvent à travers les ruines l’autorité réformée et rajeunie, d’oublier les abîmes où l’esprit révolutionnaire allait briser les sociétés. Pour ne point méconnaître le caractère de ces hommes de fer, il faut avoir présens à l’esprit les périls auxquels ils viennent arracher la civilisation, il faut toujours se rappeler que le débordement n’a point épuisé encore sa furie, lorsqu’ils se mettent en travers et entreprennent de le faire reculer. Les esprits vulgaires qui adorent servilement dans l’histoire l’apparence du succès calomnient sans cesse les dompteurs des révolutions. Ils ne comprennent pas que, soit qu’ils en aient ou non le sentiment, par raison ou par instinct, en remplissant leur héroïque mission de résistance, ces grands hommes épurent, fertilisent, affermissent l’œuvre des révolutions, parce qu’ils n’en laissent arriver à la postérité que les progrès justes, vrais, nécessaires, qu’elles roulaient dans leurs flots impurs. On ne comprendra rien à l’histoire de l’Europe depuis le XVIe siècle, si l’on méconnaît le rôle providentiel et bienfaisant des chefs de la résistance. Nous le verrons par l’histoire de Pie V.

Nous n’avons pas qualité pour juger le protestantisme et le catholicisme au point de vue théologique : contentons-nous de considérer leur lutte au point de vue politique. Sous cet aspect, il y a peu de