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— Pardieu ! s’écria le capitaine, voir la reine de la fête ; ce doit être au moins la fourolle.

— N’est-ce point le nom des sorcières-follets ? demandai-je.

— Oui, balbutia Ferret ; il y en a qui se donnent au démon pour avoir une place parmi les ardens, d’autres qui se damnent avec les prêtres ou les jeteurs de sort, et alors, pendant sept ans, leur ame est condamnée à courir ainsi toutes les nuits ! Il y a déjà dans le pays la fourolle Renée, la fourolle Catherine. Oh ! voyez, voyez, comme celle-ci marche, comme elle a l’air de nous appeler !

En parlant ainsi, Étienne fasciné avait descendu la berge et suivait la fourolle le long des roseaux ; tout à coup il s’arrêta, nous le vîmes se baisser et disparaître ; nous allions courir à lui quand il se releva avec un cri : il tenait à la main le tablier rouge de Françoise !

Nous cherchâmes en vain la jeune pastoure aux bords du marécage, sur la route et dans une saulaie qui s’étendait un peu plus loin ; tout était désert. Le paysan inquiet nous quitta pour retourner à la ferme. Comme rien ne me retenait à Sainte-Mère-Église, je repartis le lendemain sans avoir connu le résultat de sa recherche ; mais le hasard m’ayant fait rencontrer, deux années plus tard, le capitaine, j’appris de lui que Françoise avait été retrouvée noyée sous les glaïeuls de l’étang.

Quant à Guillemot, il avait quitté le Cotentin et gagné les bords de la Sarthe, où il vit peut-être encore, craint, comme tous ses pareils, des crédules paysans, qui le haïssent et le consultent. Quiconque a parcouru nos campagnes connaît, en effet, l’autorité qu’exercent partout ces vagabonds solitaires, auxquels la superstition suppose une mission surnaturelle. Quelle qu’ait été, dans cette première moitié du siècle, l’énergie de la réaction contre les traditions du passé, la croyance aux sorciers s’est à peine affaiblie. Les rois et les prêtres s’en vont, mais les sorciers survivent. C’est que la foi en ceux qui peuvent nous affranchir du possible est encore moins le témoignage de notre ignorance que de nos rêves. Depuis l’alchimiste du moyen-âge, qui promettait la pierre philosophale, jusqu’au spéculateur Law retrouvant l’Eden aux bords du Mississipi, c’est toujours la même facilité à supposer ce qui flatte et à prendre ses désirs pour des preuves. Aujourd’hui même, au foyer du scepticisme, n’avons-nous pas encore nos sorciers qui, plus puissans que les autres, ne promettent point seulement le bonheur et la richesse à quelques hommes, mais la réforme de toutes les misères humaines et la félicité éternelle du genre humain ?


ÉMILE SOUVESTRE.