nous reconduire. Bien que le congé fût donné d’une manière un peu brutale, l’avis était prudent ; rien ne nous retenait d’ailleurs au Petit-Haule ; nous dîmes rapidement adieu à notre singulier hôte, et, sortant à notre tour par la porte de derrière, nous suivîmes un sentier étroit qui nous conduisit en ligne droite au bas de la colline.
L’étrange scène dont je venais d’être témoin avait excité au plus haut point ma curiosité. Je me faisais donner de nouvelles explications par mon conducteur, lorsqu’un homme se dressa tout à coup dans l’ombre de la ravine que nous suivions ; je reconnus Étienne Ferret, il nous aperçut à son tour, et vint nous rejoindre.
— Eh bien ! l’as-tu retrouvée ? demanda le capitaine.
— Non, dit le paysan ; j’ai couru jusqu’au bas sans rien voir. Cependant elle n’a pu fuir si vite ! Le coteau n’a pas une brousse pour la cacher. Faut qu’elle soit partie sur un coup de vent ou rentrée sous terre ? Mais l’homme du Petit-Haule en rendra compte.
Je remarquai qu’en parlant ainsi, Ferret avait la voix haletante et les yeux un peu hagards ; il était très pâle. Le capitaine et moi nous nous efforçâmes de le calmer ; mais il y avait dans son exaltation un mélange de soupçon, d’épouvante et de colère, qui lui donnait une expression si bizarre, que nous nous laissâmes aller, malgré nous, à l’observer, au lieu de continuer à la combattre. Étienne avait complètement oublié cette réserve qui fait du paysan normand une sorte de problème vivant perpétuellement à résoudre. Il marchait entre nous en racontant avec une volubilité passionnée pourquoi il s’était attaché à Françoise en la voyant à la ferme maltraitée par tout le monde, quelles propositions de mariage il lui avait faites, et avec quels pleurs de joie elle les avait reçues. Il nous détaillait ses projets d’établissement dans la métairie qui lui était promise vers Bricbec, et où il devait entrer au retour des nouvelles feuilles ; puis, revenant à la jeune pastoure, il nous disait comment elle avait commencé à changer il y avait trois mois, comment elle était devenue toujours plus triste sans qu’il pût en deviner la cause, jusqu’à ce qu’il l’eût trouvée plusieurs fois sur la route du Petit-Haule où l’attirait la maligne puissance de Guillemot. Enfin, s’exaltant encore plus à cette dernière pensée, il se mit à murmurer des menaces de vengeance qui s’éteignirent tout à coup dans les larmes.
Je fus sincèrement touché de cette douleur naïve, et je m’efforçai de calmer le jeune paysan par quelques encouragemens ; mais le capitaine avait pour principe que les consolateurs sont comme les médecins qui, au lieu de guérir la maladie, la constatent, m’interrompit pour nous faire remarquer que la nuit était venue et qu’il importait de presser le pas. Il adressa en même temps plusieurs questions à Ferret