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— Alors, mon bon Michel, je serai forcée de vous faire pendre, dit tranquillement la voix.

Michel fit un mouvement.

— Et rien ne me sera plus facile, continua Marie-Jeanne ; il me suffira de dire que vous avez tué le grand Pierre.

— Moi ! dit Michel.

— Comme il aura disparu, et qu’il n’avait que vous pour ennemi, tout le monde me croira.

— Ah ! tu te trompes, fille du diable ! s’écria le paysan, car je puis prouver ton mensonge en représentant le corps du sorcier sain et sans blessures.

— Et où le retrouverez-vous pour cela ?

— Dans le vieux four à briques où je l’ai caché.

Il ne put en dire davantage. La cruche venait de faire un soubresaut si violent qu’elle avait quitté le rebord de la fenêtre ; elle se précipita dans le vide, atteignit au front le fermier et l’étendit mort sur la terre, où elle-même se brisa. Au même instant l’ame délivrée s’enfuit avec un rire triomphant vers le four à briques et rentra dans son enveloppe ; mais celle-ci avait déjà ressenti la première atteinte de la corruption, et depuis ce jour le grand Pierre garda toujours le teint vert et l’œil vitré des cadavres.


III — LE SORCIER DU COTENTIN.

Ferret avait écouté ce récit avec une attention qui m’avait semblé prendre, dans un certain moment, le caractère de l’inquiétude. Il laissa pourtant le narrateur entreprendre une thèse sur la faculté que les anciens avaient reconnue, à certaines ames, de quitter momentanément leur enveloppe. C’était ainsi, ajoutait le capitaine, que l’ame d’un citoyen de Clazomène, ayant trouvé, au retour, son corps brûlé, avait été forcée de se réfugier au fond d’un vase qu’elle faisait rouler. La dissertation achevée, le jeune paysan se rapprocha d’un air embarrasse et demanda si les sorciers pouvaient réellement, selon l’expression de Michel, devenir maîtres de la volonté d’une fille en touchant un de ses rubans.

— N’est-ce pas la croyance du Cotentin comme celle de la Beauce ? demanda le capitaine.

— Peut-être bien, dit Étienne, qui, fidèle à l’habitude normande, hasardait rarement une affirmation ; mais il doit y avoir des préservatifs.

— Pardieu ! tu les connais aussi bien que moi, répliqua le capitaine ; les filles prudentes qui veulent échapper à l’influence d’un sorcier n’ont qu’a mettre leurs bas à l’envers.