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marie sa voix à celle du génie celtique. Que pouvait devenir la tradition parmi tant d’élémens variés, sinon une sorte de compromis entre toutes les croyances ? Fleurs du nord, de l’ouest où du midi, tout fut mêlé pour cette poétique couronne, à laquelle le christianisme joignit ses fleurs mystiques et ses rameaux bénis. Tout le monde se mit à l’œuvre pour la composer, mais surtout les moines, les clercs, les trouvères et les troubadours. Les moines n’eurent qu’un thème : l’histoire de leurs propres couvens ou de leurs saints, qu’ils embellirent de toutes les merveilles que purent leur fournir l’imagination et la lecture. Leur zèle se trouvait admirablement secondé par l’ignorance. Celle-ci était poussée à un tel point, que l’auteur de la vie de saint Bavon citait le latin comme la langue parlée à Athènes sous le règne de Pisistrate, et prenait Tytire, le berger de Virgile, pour un écrivain romain. Un autre légendaire racontait sérieusement qu’au temps de saint Grégoire, Rome était peuplée de Sarrasins qui adoraient plusieurs idoles, parmi lesquelles se trouvait Vénus. Ce fut avec cette liberté d’érudition que furent composés la plupart des pieux récits que des conteurs aux gages de l’église répétaient à la foule les jours de fête, et qui, transfigurés et confondus par la transmission orale, ont formé à la longue les traditions populaires qui se racontent encore aujourd’hui autour de la bûche de Noël.

Parmi toutes ces légendes, destinées à être lues comme l’indique leur nom (legenda), celles relatives à la Vierge se firent surtout remarquer par l’audace de leur naïveté. Au XIIIe siècle, la dévotion à la mère du Christ devint une frénétique adoration. La passion pour la femme semblait réchauffer le respect pour la sainte. Jamais la folie de la croix n’avait égalé la folie de Marie. On déclara publiquement que le pécheur qui reniait Dieu sans renier la Vierge était sauvé. Les légendes ne reculèrent devant aucune fable pour propager cette foi enthousiaste : elles racontèrent d’abord la guérison d’un moine italien attaqué de la lèpre, et que la Vierge avait guéri en lui faisant boire de son lait[1], puis l’histoire d’un chevalier malheureux en amour qui avait invoqué l’aide de Marie. Celle-ci était apparue en personne, et lui avait demandé s’il ne la trouvait pas aussi belle que sa dame. — Mille fois davantage ! s’était écrié le chevalier. — Alors vous l’oublierez près de moi, avait repris la mère du Sauveur, et, le touchant de sa main, elle l’avait enlevé dans le paradis.

À La vérité, les légendes n’étaient point toujours aussi hasardées ; beaucoup se contentaient de redire les miracles mille fois redits ou d’exalter les mérites particulièrement nécessaires à la vie monastique. Dans ce dernier cas, elles n’avaient d’autre but que d’aider à la discipline

  1. Il existe encore à Palerme un groupe sculpté qui rappelle ce fait.