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« Consoler ceux qui ont besoin de consolations, et rassasier les cœurs affamés, ce n’est pas là toute la mission du poète. Il doit être aussi le juge de l’humanité, il doit être la foudre et l’orage qui dissipent les miasmes et les corruptions de la terre. Jean-Paul était le dieu de la foudre, quand il s’irritait ; un fouet sanglant, quand il frappait. Ses railleries emportaient la pièce. Malheur à qui attirait sur lui cette terrible ironie ! Il n’y avait plus qu’à fuir, car de lui résister en face, personne n’aurait eu ce courage. Si le géant de l’orgueil osait braver Jean-Paul, d’un coup de fronde il le jetait à bas. Si la ruse se cachait dans ses cavernes sombres, Jean-Paul y mettait le feu… »


Il est impossible de louer plus dignement ce grand esprit, d’apprécier avec plus de vérité et de vie tout ce qu’il y a de trésors divins, de merveilles incomparables, tout ce qu’il y a de sagement et de religieusement démocratique dans les gracieuses peintures de Siebenkaes, dans les sublimes fantaisies d’Hespérus et de la Loge invisible. Cet hymne enthousiaste à Jean-Paul forme comme un point de repos, comme un centre lumineux et grave au milieu de la carrière de Louis Boerne. C’était là qu’il devait se cantonner à jamais. Disciple de ce grand poète, il était digne de continuer son influence en la transformant. Quel écrivain sérieux n’a pas eu dans sa vie un éclair, une illumination subite pour lui marquer sa voie ! Le jour qu’il traçait avec une émotion si sincère cette poétique oraison funèbre de son glorieux modèle, Louis Boerne, j’en suis sûr, a entendu distinctement les conseils du maître intérieur. Son malheur, nous le verrons bientôt, est de les avoir si vite oubliés. Que de fois, lorsque l’explosion de 1830 l’eut jeté hors de sa route, l’ingénieux et libéral humoriste dut regretter cette poésie ravissante, abandonnée par lui pour les tumultueuses aventures de la place publique ! Que de fois le souvenir de Jean-Paul dut troubler ses insomnies et faire apparaître à ses yeux, comme un reproche, tous ces chastes fantômes, toutes ces créatures idéales qui peuplaient le paradis de sa jeunesse ! Hélas ! les embrassemens du radicalisme ont aussi dévoré chez nous des intelligences d’élite et flétri des poètes adorés. Carpe diem, disait la sagesse antique ; hâtons-nous, jouissons des heures rapides où le rêveur aimé nous appartient encore.

Le meilleur moyen, ce me semble, d’apprécier un critique, un brillant humoriste littéraire, c’est de chercher le caractère commun de ses travaux, c’est aussi de marquer les rapports qui l’unissent aux grands écrivains de son pays. J’ai dit ce qu’était Louis Boerne en face de Lessing, en face de Schiller et de Goethe ; j’ai dit son enthousiasme pour Jean-Paul : je me demande à présent ce qu’il pensa de Hegel et s’il se soumit, comme tant d’intelligences plus fortes et plus hardies que la sienne, au joug bizarre de ce formidable esprit. Il n’est guère possible, en Allemagne, d’échapper aux écoles philosophiques. Hegel particulièrement a exercé sur ses contemporains une fascination prodigieuse.