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les poètes complaisans. Jean-Paul n’était pas le flatteur de la foule, il n’était les le complaisant de la vulgarité. Par de petits sentiers étroits, il allait visiter le village dédaigné du voyageur. Dans le peuple, il comptait les hommes, dans les villes les toits, et, sous chaque toit, chaque cœur l’intéressait. Toutes les saisons pour lui se paraient de fleurs, toutes lui donnaient des fruits. Le plus pauvre de tous les poètes, n’eût-il qu’une seule corde sa lyre, sait chanter la fête du premier amour. Jean-Paul veille sur la flamme sainte de l’amour jusqu’à l’heure où le souffle de la mort vient l’éteindre… À travers le brouillard et l’ouragan, au milieu des glaces de l’hiver, il pénétrait dans le misérable taudis d’un maître d’école de village, pour distribuer à ses enfans les joyeux présens de Noël. Il chantait à pleine poitrine la vie splendide des princes dans les îles enchantées du lac Majeur ; mais combien sa voix était plus douce, combien son enthousiasme plus vrai, quand il chantait le modeste bonheur d’un bon vieillard allemand et les jours fortunés d’un pasteur suédois !

« Pour la liberté de la pensée, Jean-Paul a eu des compagnons de guerre ; dans les luttes pour la liberté du sentiment, il était seul. Étranges natures que nous sommes ! nous cherchons à dissimuler notre amour plus soigneusement encore que notre haine, et nous craignons de paraître bons autant que nous craindrions de paraître riches en présence des voleurs. Que de fois, dans le tumulte de la vie quotidienne, dans le va et vient des conversations banales, que de fois nous donnons aux choses sérieuses qui s’y font où s’y disent une attention qui n’est que mensonge ! Nous paraissons calmes, et nous sommes émus ; nous paraissons graves, et nous serions près de pleurer ; notre esprit semble très éveillé, et nous sommes bercés par des songes ; nous marchons à pas comptés, et notre cœur bondit de souvenir en souvenir ; nous courons à travers les lits de fleurs de notre enfance, ou bien, sur les ailes de la fantaisie, nous nous élevons vers les derniers nuages enflammés, vers les derniers soleils couchans de notre jeunesse disparue. Avec quel embarras vous épiez autour de vous si aucun regard ne vous a surpris, si aucune oreille n’a soupçonné vos silencieux soupirs ! C’est alors que Jean-Paul s’approche de vous, et souriant, et de sa voix la plus douce : « Je vous connais, dit-il. Vous cachez vos joies, elles vous semblent trop enfantines pour que des esprits sérieux s’y intéressent ; vous enfermez secrètement vos douleurs, trop petites, pensez-vous, pour qu’on y compatisse. Je viens me réjouir, je viens pleurer avec vous. »

« Jean-Paul était le poète de l’amour, en donnant à ce mot sa signification la plus belle et la plus sublime. Il avait fait dans sa jeunesse le serment que voici : « Grand génie de l’amour ! j’adore ton cœur sacré ; qu’il emploie une langue morte ou une langue vivante, qu’il parle avec des lèvres de feu, ou qu’il s’exprime péniblement, je l’adore ! Et partout, partout je te reconnaîtrai, soit que tu habites dans une étroite vallée des Alpes, soit que tu te caches dans une cabane de l’Ecosse, soit que tu brilles au sein de l’éclat du monde ! » Ce serment, il l’a tenu jusqu’à sa mort. Mais qu’est-ce que l’amour sans la justice ? C’est la générosité du bandit qui donne à l’un ce qu’il vient de prendre à l’autre. Jean-Paul était aussi un prêtre du droit. L’amour était pour lui une flamme sainte, et le droit était l’autel où cette flamme devait brûler. Jean-Paul est le poète de la morale. Jamais il ne para le vice des fleurs de sa parole, jamais l’or de son imagination ne couvrit des sentimens vils…