Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des années exprimées par un nombre pair sont toujours de beaucoup plus considérables que ceux des années de nombre impair. Au reste, nous avons vu par l’histoire des pêches de Suède que l’apparition des harengs n’a rien de régulier, que les côtes les plus favorisées pendant un certain nombre d’années peuvent tomber plus tard dans un état de pauvreté désespérante, et nous aurions pu sans peine multiplier ces exemples. Tant qu’on a cru aux voyages des harengs, on a expliqué ces irrégularités en disant que leurs colonnes s’écartaient de ces parages pour des raisons difficilement appréciables. Aujourd’hui que le système migratorial doit évidemment être abandonné, il est nécessaire de chercher une autre cause à ces variations. Qu’on ne voie pas ici une simple question de curiosité ; la solution de ce problème intéresse peut être l’avenir et la sécurité de toutes les industries dont nous venons de tracer le tableau.

En effet, si l’ancienne explication est fondée, si les harengs n’arrivent sur nos côtes qu’en voyageurs partis des mers polaires, le mal est sans remède, car nous ne saurions apprécier les mille accidens qui peuvent faire dévier leurs innombrables armées. Si, au contraire, les harengs sont originaires de nos mers, il n’est pas impossible de prévenir ces disparitions presque complètes qui jettent dans la misère des populations naguère florissantes. Dans cette dernière hypothèse, que tout nous prouve être la vraie, l’appauvrissement progressif des mers de Suède s’explique très aisément par le mode de pêche employé dans ces contrées. Les côtes scandinaves sont, on le sait, creusées de petites baies étroites et profondes. Quand un banc de harengs s’engageait dans un de ces culs-de-sac, on barrait l’entrée avec un immense filet, que de forts cabestans ramenaient peu à peu vers le fond. On prenait ainsi tout le poisson enfermé dans ces pièges naturels. C’est par ce procédé que les Suédois étaient arrivés à enlever de la mer jusqu’à 400,000 tonnes de harengs ; mais cette dévastation exercée sur une espèce animale qui ne s’approche de terre que pour frayer, et qu’on empêchait ainsi de réparer ses pertes, devait rapidement porter ses fruits ; la pêche suédoise a succombé par suite même de ses succès exagérés.

Et pourtant il était peut-être facile de conserver à cette pêche ses proportions colossales, tout en assurant la reproduction des harengs. Les fécondations artificielles, jusqu’ici réservées aux recherches scientifiques ou appliquées seulement à des viviers d’une petite étendue, auraient certainement atteint ce résultat d’une façon plus ou moins complète. En tout cas, elles auraient prévenu une dépopulation entière. Il aurait suffi de mélanger dans des proportions convenables les œufs bien mûrs d’un certain nombre de femelles et la laitance de quelques mâles, puis de déposer le tout dans des criques abritées ou la pêche aurait été sévèrement défendue. Animés par le contact fécondateur, les œufs