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ferme, le brillant artiste fera résonner souvent les touches les plus fières de son clavier. Quoi qu’il fasse pourtant, ce sera toujours un dilettante, et l’on se souviendra de ses paroles : « La musique, s’écrie-t-il dans l’introduction de son journal, est le seul art où les Allemands soient maîtres. S’ils pouvaient parler en musique, et si cette musique pouvait régler leurs actions, les Allemands seraient le premier de tous les peuples. » C’est pour avoir été fidèle à cette musicale inspiration, au milieu même de ses plus furieuses colères, c’est pour cette faculté divine que Louis Boerne a été certainement le premier publiciste de son pays, et que bien des fautes lui seront pardonnées.

Cette forme humoristique si nouvelle fut un enchantement pour les lecteurs d’élite. Un homme qui ne partageait guère les idées de Louis Boerne, un des plus charmans esprits de l’aristocratie allemande, Frédéric de Gentz, en fut ravi. C’est l’originalité de ce célèbre diplomate d’avoir gardé, au milieu des plus hautes fonctions politiques, la plus tendre sympathie pour toutes les choses de l’art. Il fut un des premiers à saluer le talent du journaliste. « Avez-vous lu, écrivait-il à Rachel de Varnhagen, avez-vous lu dans la Balance un article signé Louis Boerne ? Lisez-le ; je n’ai rien vu de si spirituel, rien de si parfait depuis Lessing. » Et Rachel, quelques semaines après, écrivait de son côté à un ami : « Le docteur Boerne rédige un journal intitulé la Balance. Gentz me le recommandait l’autre jour comme l’œuvre la plus ingénieuse qui eût jamais paru ; il ne tarissait pas d’éloges enthousiastes ; — depuis Lessing disait-il, et il faisait allusion ici à un certain article, on n’a pas écrit de critique théâtrale comparable à celle-là. — Certes, j’avais toute confiance dans le jugement de Gentz ; cependant l’œuvre de Louis Boerne, par l’éclat de l’esprit et la beauté du langage, me parut supérieure encore à ce qu’il m’avait annoncé. C’est une forme incisive, profonde, essentiellement vraie et courageuse ; cela n’a pas la futile nouveauté de la mode ; c’est vraiment et sérieusement neuf. Et quel abandon négligé comme au bon vieux temps ! Et quels comportemens légitimes contre tout ce qui est mauvais dans les arts ! Aussi vrai que je vis, voilà un parfait honnête homme. Si vous lisez ses critiques à propos d’une pièce que vous n’ayez jamais vue, vous connaîtrez l’ouvrage aussi bien que si vous l’aviez devant les yeux. Lisez-le, lisez-le ! Gentz blâmait vivement ses opinions, mais il trouvait naturel qu’il les eût. » L’enthousiasme de Rachel de Varnhagen et de Frédéric de Gentz, c’est-à-dire des plus brillans esprits de l’Allemagne, indique parfaitement l’attitude de Louis Boerne dès ses premiers débuts. Nul pédantisme chez lui, rien de contraint et qui sente l’école ; les habitudes universitaires, qui sont visibles chez les plus grands penseurs de l’Allemagne et qui restreignent leur influence à une étroite enceinte, Louis Boerne ne les a jamais connues. Il se moquera