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moins pour l’Allemagne. Les penseurs sérieux, en petit nombre il est vrai, s’aperçurent bientôt que la défaite de la France était un terrible coup porté aux nations germaniques. On n’avait pas seulement triomphé de l’empereur, on avait abattu la révolution, c’est-à-dire désarmé le génie des réformes, arrêté la civilisation libérale, et ajourné pour long-temps les légitimes espérances des peuples. L’enthousiasme de 1813 continuait cependant à s’exalter encore. Les souvenirs du moyen-âge les traditions du saint empire romain, qui avaient donné une excitation si vive aux esprits et réuni pour une cause sacrée tous les enfans divisés de la famille tudesque, étaient devenus comme une religion où le mysticisme puisait des voluptés enivrantes. Louis Boerne comprit un des premiers, avec une décision courageuse, le rôle imposé désormais à ceux qui ne voulaient pas que la victoire de l’Allemagne fût la ruine de la liberté. Tandis que tout un peuple allait se passionnant pour la vieille unité du XIIIe siècle, pour les empereurs de la maison de Souabe, les gouvernemens, on ne l’ignore pas, profitaient de ce bel enthousiasme archéologique et déchiraient sans plus de façon les séduisantes promesses de la veille. Dès ce jour-là, Louis Boerne eut un but, il eut une œuvre à accomplir, il entreprit de dissiper les ténèbres où s’emprisonnaient ses concitoyens et de mettre en fuite tous les songes menteurs. Nous n’avons plus affaire, après 1815, à l’étudiant de Halle et de Giessen, à l’honnête employé de la police de Francfort ; nous allons voir grandir le chef de la croisade libérale, le missionnaire du bon sens qui, à force d’esprit et de vivacité railleuse, réveillera l’Allemagne endormie.

C’est par la presse que Louis Boerne résolut d’agir sur son pays. 1813 avait produit un journaliste du premier ordre, l’impétueux, l’irrésistible Goerres, qui, dans le Mercure du Rhin, soufflait à l’Allemagne le feu de sa colère avec une formidable éloquence. Louis Boerne voulut être le Goerres de la période nouvelle, et pour cela il savait bien qu’il ne devait ressembler en rien à son rival. Goerres était mystique et furieux à la fois ; il unissait dans ses prédications grandioses la religieuse exaltation du moyen-âge à la rage du patriotisme insulté. La tâche de Louis Boerne était bien différente. Il avait l’ambition de faire pénétrer partout la pure lumière de l’esprit moderne ; il voulait dissiper les fantômes et réveiller les somnambules. Comment parler efficacement à ces rêveurs aimables, à ces brillans illuminés, qui, dans l’art et la philosophie, dans la science et la politique, ne voyaient pus que le moyen-âge ? L’ironie de Voltaire les eût trop cruellement blessés, et la raison toute seule eût été impuissante. Ne craignez rien ; la pensée, quand elle est profonde, se crée toujours sa forme, et le style de Louis Boerne, ce style qu’il ignorait encore la veille, qu’il cherchait çà et là chez Jean de Müller et chez Voltaire, ce style nouveau, primesautier, vraiment