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qu’on venait de porter à sa dernière demeure était un des écrivains les plus éminens de l’Allemagne, et, parmi les exilés qui lui rendaient ce suprême devoir, qui donc eût pu rester insensible, en se rappelant toutes les qualités fortes et toutes les graces brillantes de ce rare esprit, en se rappelant surtout, hélas ! que les amis, les admirateurs, les consolateurs de Louis Boerne n’étaient représentés à cette pieuse cérémonie que par un petit groupe de fidèles perdus dans une foule banale ? Ces pensées attristaient encore bien des cœurs, quand un des chefs du socialisme parisien, M. Raspail, prit la parole, et sembla tout prêt à transformer cette modeste tombe en une tribune démagogique. Je ne sais ce que pensèrent les vrais amis du publiciste de Francfort ; mais le fait seul de cette déclamation révolutionnaire dans un tel lieu est une violence qui me révolte. Quand je songe au tribun jouant son rôle auprès de cette fosse ouverte, je ne puis m’empêcher de lire dans ce rapprochement le tragique symbole de la destinée de Louis Boerne ; je ne puis oublier combien cette ame passionnée a été flétrie par les tyrannies populaires, que de déceptions elle a subies, quels remords ont dû gronder sourdement dans cette loyale conscience. Douze ans ont passé depuis ce jour. Il est bien temps de rendre un tardif hommage, mêlé de commisération et de reproches, à cette volontaire victime de la démagogie. Il est temps de faire la part du bien et du mal, des grands services rendus et des funestes erreurs, dans cette noble intelligence, trop délicate pour soutenir les chocs de la vie publique, trop généreuse pour subir le joug de l’absolutisme allemand. Tout nous invite, d’ailleurs, à cette réparation. Au moment où nos voisins, embarrassés de leur victoire inattendue, la compromettent chaque jour par des prétentions folles, il n’est pas inutile d’étudier avec détail un des hommes qui ont le plus activement contribué à la transformation des peuples germaniques. C’était une bonne pensée, pour peu qu’on l’eût comprise, d’aller visiter, après le 24 février, la tombe d’Armand Carrel. Si les hommes qui ont accompli ce pèlerinage y eussent cherché autre chose que l’occasion de parler, s’ils y fussent allés pieusement recueillir les conseils de l’histoire, ils auraient peut-être envisagé d’une façon plus haute cette forme républicaine dont ils ne nous ont montré que les inconvéniens ou les désastres. Inspirés par le généreux publiciste dont Chateaubriand lui-même a pleuré la mort, ils se seraient bien gardés de voir la France entière dans une minorité factieuse, et, quelle que fût la chance des événemens, ils eussent donné du moins à leur parti la dignité sévère qui lui a manqué. L’Allemagne aussi ferait bien d’interroger avec respect les intelligences d’élite qui méritaient de guider ses nouveaux efforts. En présence de la démagogie philosophique ou des factions brutales, au milieu de ces partis diversement égarés, les uns qui cherchent dans l’athéisme une originalité honteuse,