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Les habiles ont beau rire ; même au point de vue mondain, les derniers jours de Fénelon valent mieux que ceux du cardinal Dubois.

Que de scènes de bonne comédie se passèrent entre Briggs, miss Mathilde et Rébecca ! Un jour, par exemple, celle-ci venait d’écarter très habilement du chevet de la malade la femme de confiance Briggs et se trouvait à table avec cette sentimentale amie de la vieille malade ; Briggs versait d’amères larmes.

— Ne vaudrait-il pas mieux donner à miss Briggs un verre de vin ? dit Rébecca à M. Bowls, le gros homme de confiance. Il obéit. Briggs prit machinalement le verre, avala convulsivement le vin de Bordeaux, soupira et se mit à éplucher son poulet dans son assiette.

— Nous pourrons, je crois, nous servir nous-mêmes, dit Rébecca avec une grande douceur, et je crois que nous n’avons pas besoin des bons offices de M. Bowls. Monsieur Bowls, s’il vous plaît, nous sonnerons, si nous avons besoin de vous. Le sommelier descendit, et naturellement fit tomber sa mauvaise humeur et ses imprécations furieuses sur l’inoffensif valet de pied, son subordonné.

— C’est pitié que vous preniez les choses si à cœur, dit la jeune dame d’un air froid et un peu ironique.

— Ma meilleure amie est malade et ne veut pas… me… voir, sanglota Briggs dans une nouvelle explosion de chagrin.

— Elle n’est plus très malade ; consolez-vous, chère miss Briggs… Une indigestion, voilà tout. Elle est beaucoup mieux ; bientôt elle sera rétablie ; elle est fatiguée du traitement ordonné par le médecin ; demain, nous la verrons sur pied. Je vous en supplie, consolez-vous et prenez encore un peu de vin.

— Mais pourquoi… pourquoi ne veut-elle pas me voir ? murmura miss Briggs. Oh ! Mathilde, Mathilde !… après vingt-trois ans de tendre amitié ! est-ce ainsi que tu paies de retour ta pauvre et triste Arabelle ?

— Ne vous désolez pas trop, pauvre et triste Arabelle ! Elle refuse de vous voir seulement parce qu’elle prétend que vous n’avez pas soin d’elle aussi bien que moi. Ce n’est pas un plaisir pour moi de la veiller toute la nuit. Je souhaite que vous puissiez me remplacer.

— N’ai-je pas veillé près de ce cher lit pendant des années ? dit Arabelle, et maintenant !…

— Maintenant elle en préfère une autre. Bah ! les malades ont de ces fantaisies auxquelles il faut céder. Lorsqu’elle sera rétablie, je m’en irai.

— Jamais, jamais ! s’écria Arabelle en respirant tristement son flacon de sels.

— Quoi !… elle ne se rétablira pas, ou je ne m’en irai pas, miss Briggs, dit l’autre avec sa grace charmante. Bah ! elle ira tout-à-fait bien dans une quinzaine, et je retournerai près de mes jeunes élèves