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Anglais seuls peuvent occuper ; Amélie y suivit son vieux père sans douter un moment de la foi de son cher George, qui venait la voir très rarement.


III. — L’AMI DOBBIN.

Il y a dans un coin de la Cité, repli obscur et funèbre qui porte le nom caractéristique de Cour du Cercueil, un pauvre café, dont la maîtresse sommeille perpétuellement à demi, au milieu d’une douzaine de tasses fêlées. L’unique garçon porte de vieux chaussons de bal fort éculés, et ses yeux clignotans et rouges ne voient pas plus de trois cliens par jour. Ceux-ci sont en général ou des clercs d’avoué qui ont une note ou une lettre à écrire, ou des courtiers de bourse qui s’arrêtent un moment pour supputer leurs gains et leurs pertes. La poussière couvre les tables ; le vieux garçon, Jean, ce maigre personnage qui, les bras croisés, contemple les passans, se garde bien de rien essuyer jamais.

Ce fut là que se présenta un soir de février le capitaine Dobbin que nos lecteurs ne connaissent pas et qui tiendra une grande place dans ce récit. Il venait y trouver le vieux Sedley, qui recevait ses visites dans le café, depuis que ses bureaux étaient fermés et que le malheur l’avait accablé. Là le ci-devant banquier avait pris l’habitude de se retirer, là il écrivait et se faisait adresser ses lettres, là il les nouait en paquets mystérieux, dont quelques-uns étaient toujours dans les poches de son habit. Je ne sais rien de plus triste que cet air affairé et profond de l’homme ruiné ; ces lettres qu’il vous montre, écrites par des personnes riches, ces papiers usés et gras, pleins de promesses de secours, de complimens de condoléance, sur lesquels le malheureux bâtit l’espoir chimérique de sa fortune à venir. Vous avez sans doute, cher lecteur, rencontré sur votre route quelque infortuné de cette espèce ; il vous a mené dans un coin, il a tiré de sa poche béante sa liasse de papiers, il l’a dénouée, et, plaçant la ficelle dans sa bouche, il a choisi et étalé devant vous ses lettres favorites ; vous vous rappelez, hélas ! le regard triste et à demi égaré que ses yeux désespérés attachaient sur vous.

L’arrivée de Dobbin dans la Cour du Cercueil produisit quelque sensation ; sa tournure était fort hétéroclite.

Salut, mon timide et ravissant Dobbin, réhabilitation de la simplicité gauche et du dévouement désintéressé ! J’ai connu Dobbin, chacun l’a vu ; un de ces officiers anglais longs, dégingandés, décousus, à l’air niais et comme tombés de la lune. Dobbin, espèce de Ralph, comparable à plusieurs égards à ce charmant héros de Mme Sand, a l’avantage de ne point toucher comme Ralph à la sentimentalité d’Auguste