boudoir de loge et de coquetterie, notre amie Rébecca se sentait souveraine ; personne, gens de cour ou diplomates, ne l’aurait battue sur ce terrain.
Qui est-elle après tout ? Fille d’un artiste bohême et d’une danseuse française, sans fortune et sans nom, mariée à un brutal qui vole au jeu et que l’on connaît pour un grec, c’est elle qui dans ce récit tiendra premier rôle ; d’une souplesse et d’une vigueur d’esprit rares, elle n’a de haine contre personne et joue simplement aux échecs avec la vie. Elle se trouve bien partout, pourvu que le jeu continue. Si elle triche, c’est pour s’entretenir la main. De temps à autre, elle devient honnête et casanière, se cantonne au sein de la vertu et s’y repose ; alors elle aime à vivre de la vie ordinaire, se fait grave et respectable et se délecte dans la paix. Puis ce grand effort la fatigue ; elle reprend sa course et vole à la conquête, qui, par parenthèse, est pour elle un problème des plus incommodes. Comment Rébecca, ce chasseur adroit et hardi aux succès duquel on s’intéresse bon gré mal gré, renversera-t-elle les obstacles ? Comment fraiera-t-elle sa route dans une forêt si épaisse ? Comment parviendra-t-elle à être acceptée par l’aristocratie, à être même présentée à la cour ? C’est le sujet de notre histoire ; autour de la bohémienne se groupent en outre trois familles anglaises, deux appartenant à la bourgeoisie, une à la noblesse.
Chacune de ces familles forme un petit monde dont les annales ont de l’intérêt ; Les Crawley datent seulement du XVIe siècle : Élisabeth les a anoblis. Les Sedley sont de braves commerçans, modestes, actifs, intelligens, économes. Enfin les Osborne, fabricans de chandelles, négocians en gros, plus orgueilleux que les Plantagenet, aspirent à se confondre avec l’aristocratie féodale de l’Angleterre. On reconnaît aisément que ce sont là trois fausses aristocraties, trois noblesses d’emprunt. Nous verrons sourire et pleurer toutes ces figures, ces trois familles se mouvoir dans leurs sphères respectives ; les Sedley, les Osborne, les Crawley, accomplir leurs ellipses variées, et, au milieu de ces mouvemens, le front puissant, l’œil d’opale et le nez pointu de miss Rébecca Sharp dominer toute la scène. À Dieu ne plaise que je représente sous leur vrai costume les acteurs de mon drame ! Leurs actions paraîtraient ridicules sous de tels habits, tant la mode passagère exerce d’empire et d’influence ! La charmante Amélie, aux beaux yeux noirs et aux formes si pures, vous ne voudriez pas la voir en robe sans taille et en chapeau-cabriolet, semblable aux vieilles figures de Boilly et de Carle Vernet. À Bruxelles surtout éclataient ces merveilleuses toilettes britanniques, irlandaises, écossaises et welches, qui firent notre bonheur en 1815 ; — quelles tailles et quels chapeaux !
La scène que je viens de décrire, et qui se passait à l’opéra de Bruxelles en juin 1815, cachait bien des péripéties et se rattachait aux