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derniers bâtimens qui restassent dans le port qu’on allait combler en sortirent le 11 mars suivant. La population qui l’avait si vaillamment défendu n’avait plus qu’un exemple de courage et de dévouement à donner : elle assista morne, fière et résignée, a la consommation du sacrifice. D’autres que des Anglais se seraient contentés de la destruction de l’établissement maritime et militaire : acharnés sur un ennemi abattu et mesurant leurs vengeances à leurs terreurs, les Anglais voulurent en outre ramener à Dunkerque les fièvres endémiques, et exigèrent, par une interprétation judaïque du traité, la clôture de toutes les issues par lesquelles les eaux intérieures s’écoulaient dans le chenal. Ce fut alors que Louis XIV ordonna l’ouverture du canal maritime de Mardyck, qui, maintenant comblé du côté de la mer, n’est plus qu’une lagune où se déchargent quelques watergans. Les travaux furent commencés en mai et terminés en décembre 1714 par douze bataillons d’infanterie que dirigeait M. de Moyenneville, ingénieur militaire. Le canal allait, par une ligne brisée de 6 kilomètres, de la ville à la rade, avec laquelle il communiquait par une écluse à deux sas, dont l’un pouvait recevoir des vaisseaux de 70. Il avait 55 mètres de largeur moyenne, et 6 mètres 50 centimètres de profondeur. Ce n’était pas le port de Dunkerque ; c’en était un semblable, si ce n’est meilleur, qui s’ouvrait à une lieue à l’ouest. Les Anglais jetèrent les hauts cris ; le roi maintint son droit d’établir de nouveaux ports sur ses côtes, et mourut l’année suivante sans l’avoir laissé entamer. Il s’était inspiré, dans cette affaire, des conseils de M. Leblanc, alors intendant de Dunkerque, le même qui avait si efficacement concouru à sauver la Provence de l’invasion de 1707[1]. Mais il était dans les destinées de Dunkerque d’être encore sacrifiée aux fautes et aux intérêts d’autrui. Le régent, ayant à venger sur l’Espagne des querelles qui étaient moins celles de la nation que les siennes, eut besoin du concours de l’Angleterre et de la Hollande. L’anéantissement du canal maritime fut le prix du traité d’alliance de 1747, et l’on s’engagea, par un article secret, à ce qu’aucuns ports, havre, fortifications, écluse ou bassin, ne fussent jamais construits ou faits à Dunkerque, à Mardyck, ou en quelque autre endroit que ce fut, à deux lieues de distance d’aucune de ces deux places, c’est-à-dire à portée de la rade. Le négociateur de ce traité fut l’abbé Dubois, qui commença par là sa réputation de diplomate. Il passa pour avoir reçu beaucoup d’argent des Anglais[2], et la justice historique oblige à

  1. Voir la Revue des Deux Mondes du 15 mai 1847.
  2. « … Les Anglais, maîtres de toutes les mers et de tout le commerce, dominent dans les Indes, tandis que sa faible marine n’a pu se relever de ses pertes, et que la nôtre est enfin anéantie, l’un et l’autre par l’intérêt et le fait d’un Dubois ! » (Mémoires du duc de Saint-Simon, t. XXXI.)