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des chemins magnifiques se coupent en équerre sur cette face couverte des plus riches cultures. La cotisation d’entretien des travaux est de 13 fr. 15 cent. par hectare, et l’on ne peut pas évaluer à moins de 600,000 francs la valeur brute des récoltes que porte cet ancien foyer d’infection de la contrée. Le dessèchement des petites Moëres a été entrepris, il y a vingt-cinq ans, dans des conditions analogues et de la même façon, par M. Bosquillon, ingénieur des ponts-et-chaussées les petites Moëres étaient alors affermées 240 francs pour la pêche du poisson et la coupe des roseaux ; elles ont d’abord été louées pour dix-neuf ans, à raison de 6,000 fr. par an, à un fermier qui a fourni tout le capital de mise en culture. Ce fermier a renouvelé son bail à 14,000 fr., et ce prix passe pour fort bas. En 1822, la commune des Moëres comptait à peine trois cents habitans, et la fièvre y régnait six mois de l’année ; elle en possède aujourd’hui plus de mille, dont le moindre vaut, pour la vigueur, trois de ses aînés. Cette population vit au-dessous du niveau de la basse mer, et il n’y a entre elle et l’irruption des flots que la membrure des portes d’une écluse. Quelques précautions de plus mettraient les Moëres à l’abri de l’invasion des marées qui franchiraient l’enceinte de Dunkerque. Depuis trente ans, on n’a pas cessé de fortifier et d’exhausser la digue qui les enveloppe ; cette digue n’a plus de points faibles que ceux où se dégorgent les machines d’épuisement, et l’addition d’un peu de force motrice permettrait de remédier à ce défaut. Il ne serait pas moins facile, si ce n’est de garantir complètement le reste de la contrée des inondations, du moins d’en cantonner les ravages ; mais telle est la nature de l’homme : il ne s’accoutume à rien, si facilement qu’au danger, et ne tient point compte des catastrophes dont aucune douleur actuelle ne lui fait sentir l’imminence.

Si, dans cette amélioration raisonnée d’un vaste territoire, l’accroissement de valeur de la propriété foncière a été considérable, la part de bénéfice de l’intelligence et du travail l’a été davantage encore. La bonne conduite, l’habileté, la persévérance, ont fait sortir de la foule nombre d’hommes qui, partis des derniers rangs, sont devenus de puissans cultivateurs de riches propriétaires, et, au milieu des immenses mouvemens de terres que comportent l’établissement et l’entretien du régime des watteringues, il s’est formé une race de terrassiers qui sait atteindre un salaire élevé à creuser et à curer des canaux à moitié du prix qui suffirait à peine pour vivre à des ouvriers inexpérimentés[1]. Déjà les hommes éprouvés et les capitaux économisés dans ces vastes entreprises vont féconder des terres délaissées dans les

  1. Les petits canaux se creusent et se curent à raison de 18 centimes le mètre cube de vase ou de terre ; les grands à raison de 25.