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ministère, d’abord si influent, se trouve presque en échec. Les députés slaves donnent la main à la gauche allemande, et tous pèsent ainsi d’ensemble sur le cabinet, les uns pour accélérer ou étendre leurs progrès démocratiques, les autres pour assurer avant tout l’empire de leur race dans les destinées générales de la monarchie. Le vote des droits fondamentaux, les scrutins parlementaires à interpellations et les pétitions, tout a été mis en usage contre le cabinet Schwarzenberg, et l’on parlait même à Berlin, le 24 janvier, d’une prochaine dissolution de la diète autrichienne. Cette rigoureuse mesure du cabinet impérial serait loin de le tirer d’embarras. L’Autriche a vaincu par les armes ; son triomphe n’est rien, si elle ne le conserve par la politique. Le gouvernement impérial tient sans doute entre ses mains une grande force militaire ; mais ce n’est point une situation naturelle pour un empire que d’avoir presque tout son territoire en état de siége. Quand le prince Windischgraetz aura fini d’anéantir les Magyars, si vaillant qu’on soit, on ne le sera pas tellement, qu’on n’ait plus besoin de compter avec le ban Jellachich, qui ne s’est pas toujours montré des mieux intentionnés pour le bombardeur de Prague. La destinée des dominations trop exclusivement militaires, c’est de périr par la division des chefs d’armée. Il y a de ce côté tout un monde en fusion ou peut-être en germe.

On détourne volontiers les regards de ces vastes et obscurs horizons pour les porter sur des régions à la fois moins confuses et plus limitées. On ne trouve là sans doute ni l’imprévu, ni la proportion des immenses péripéties auxquelles nous assistons dans les grands états ; mais on sent à travers ces terribles bouleversemens des empires je ne sais quelle force fatale qui humilie la raison et la liberté de l’homme, qui le jette en proie à des hasards dont il ne parait pas toujours bien clairement responsable, et l’on souffre d’une démonstration si péremptoire de son impuissance. C’est plaisir au contraire de voir aujourd’hui, dans des états moins considérables, les bons effets d’une pratique réfléchie des règles ordinaires de la science politique. On dirait qu’au sein d’une patrie plus étroite les citoyens connaissent mieux leurs devoirs, qu’ils ont mieux l’intelligence de leurs intérêts. Obligés d’être beaucoup par eux-mêmes pour que leur patrie soit quelque chose dans le monde, ils ne se laissent point absorber si vite par ces entraînemens tumultueux des masses où leurs redoutables voisins dépensent si souvent toute leur sève. La masse ici ne pèserait point assez ; c’est l’énergie de l’individu qui relève le pays ; il n’y a pas un courant de la foule qui l’emporte. Ces petites et robustes nations se sont ainsi perpétuées en Europe à force d’application et de bon sens ; grace à Dieu, elles y tiennent encore leur place ; ce sont les chevilles ouvrières de l’édifice européen.

La Hollande est peut-être au rang le plus honorable entre toutes. Le pays, doté maintenant d’une constitution réformée sur des bases à la fois raisonnable et progressives, fonctionne régulièrement avec un nouveau cabinet et avec des députés issus d’un nouveau système d’élections. Les élections directes, qui viennent d’être appliquées pour la première fois à la place du régime des anciens privilèges, ont prouvé que le peuple hollandais n’entendait pas déserter ; sous un régime plus moderne, ses traditions domestiques de prudence et de fermeté. Les prédications radicales ont été pourtant se fourvoyer jusque-là ; mais elles se sont éteintes sans écho. Les libéraux avancés du pays, dont nous nous accommoderions probablement ici d’assez bon cœur, n’ont exercé aucune influence sérieuse dans l’arène électorale, et leur chef le plus connu, M. Lipman, y a même