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réveiller sa verve d’autrefois : « Laissez-les crier, dit-il, c’est le chant du départ. » M. Crémieux rappelle les horreurs de la cour des pairs ; l’ingrat oublie qu’il s’y échauffa quelquefois à courir après l’éloquence, et qu’il ne se fâchait point, si hasard les juges de Tibère, qui étaient des gens polis, lui disaient qu’il avait parlé. M. Dupont de Bussac célèbre avec le calme d’un homme des champs les douceurs de la convention et de ses tribunaux révolutionnaires. M. Barrot pose la question politique : la gauche demande le jury ordinaire pour les prévenus de mai, parce que l’on compte exploiter la faiblesse d’une magistrature qui n’est point assez protégée ; le ministère invoque l’autorité de la haute cour, parce que nous sommes à une époque où l’on ne saurait trop fortifier les garanties de l’ordre et de la société. 470 voix contre 284 lui donnent raison et lui prouvent qu’il n’a pas trop compté sur le bon sens et la loyauté de l’assemblée nationale. La montagne, battue, répond par une protestation du peuple de Paris, qui est censé en appeler contre la haute cour « aux droits antérieurs et supérieurs » dont il est mention quelque part dans la constitution. M. Thoré, qui ne veut absolument pas retourner aux beaux-arts, s’est improvisé l’éditeur de cette grande manifestation nationale, et les journaux rouges la signent en guise de peuple, comme à Rome, dans certains comices, les trente licteurs votaient à la place des curies. Le 26, M. Faucher apporte un second projet de loi dans lequel il est écrit, article 1er : Les clubs sont interdits. Il sollicite l’urgence. M. Proudhon s’en prend au président de la république de l’audace de ses ministres, ainsi que parle M. Gent, et le traite comme le plus grand propriétaire de France où simplement comme le bon Dieu, c’est-à-dire fort mal. Deux jours de suite, la feuille de M. Proudhon est saisie, et, au moment même où la commission présidée par M. Senard (pauvre M. Senard !) invite l’assemblée à refuser l’urgence sur la discussion de la loi des clubs, le ministère demande l’autorisation de poursuivre M. Proudhon.

Il y avait 418 voix contre 342, qui condamnaient à peu près ainsi toute pensée de suppression définitive des clubs en écartant la question d’urgence, et parmi ces voix, cependant, beaucoup d’honnêtes gens qui avaient eux-mêmes été tout près de les fermer, et qui ne les aimaient pas encore davantage en les défendant aujourd’hui ; mais l’intrigue, l’intrigue ! que d’enlacemens dont on ne se défend plus quand elle vous a saisis ! Au même instant, le journalisme rouge formulait une seconde protestation, toujours au nom des mêmes « droits antérieurs et supérieurs ; » les clubs lui prêtaient leurs signatures et promenaient dans Paris les étudians de leur choix. La montagne trouva beau de frapper un grand coup, et M. Ledru-Rolljn, qui n’est qu’un homme sanguin, mais point méchant, s’avisa, dans un accès de patriotisme bouffi, de demander à la tribune la mise en accusation du ministère. Le ministère était en effet bien coupable : li veillait, et l’émeute des rues qui perçait sa mine pour aller rejoindre au besoin la sape parlementaire l’émeute armée, qui dépave les carrefours, était tenue d’avance en échec par l’activité du gouvernement. Les élémens de trouble matériel s’augmentaient depuis quelque temps : les fauteurs d’insurrection renouvelaient leur personnel ; les graciés de Cherbourg et de Brest rentraient dans Paris avec les sentimens qu’ils n’ont laissé nulle part ignorer sur leur passage. On attirait les clubistes de province ; on allumait les cervelles vides des étudians qui étudient pour ne rien apprendre, et l’on ressuscitait des haines pourtant bien