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Est-ce d’après cette donnée large et féconde que sont conçues des œuvres telles que les Confidences ? Là, la préoccupation personnelle nous apparaît, sinon sans déguisement et sans voile, au moins sans utilité et sans correctif. Là, cette lumière intérieure, au lieu de se concentrer et de se réfléchir sur l’ame se répand au dehors, semblable à ces feux follets qu’on voit courir, la nuit, dans la plaine, et qui dessinent çà et là des formes décevantes, de fantastiques aspects. Les souvenirs d’enfance, les émotions juvéniles, les premiers gazouillemens de la Muse dans une ame prompte à s’ouvrir, les études de paysage conservées dans la mémoire, ainsi que ces esquisses d’après nature qu’on voit accrochées dans l’atelier des peintres, tout cela nous est présenté comme intéressant par soi-même, comme suffisamment accrédité par le nom de celui qui raconte, par l’empreinte qu’il y a laissée, par les teintes brillantes qu’il y ajoute. Certes, personne ne contestera la splendeur de ces teintes, ni ce jet d’expressions heureuses, cette omnipotence de langage qui dompte d’un mot l’idée la plus rebelle. Ce style a parfois le regard d’aigle ; il voit, à des distances infinies le sentiment ou la pensée que nous démêlons à peine. Loin de nier ce don merveilleux, nous y trouvons l’explication permanente de ce qui nous a souvent attristé chez M. de Lamartine. Dans l’art comme dans la politique, dans la conception de ses ouvrages comme dans l’ordonnance de sa vie, le vrai et le faux, le mal et le bien, le sérieux et le futile, ne lui apparaissent qu’à travers un prisme qui ne l’abandonne jamais. On comprend sans peine ce que peut avoir de dangereux cette faculté de tout s’assimiler, de teindre tout de ses couleurs et de ses rayons, jusqu’au grain de poussière et à l’atome. Qu’importe à ce privilégié de l’image le sujet qu’il traite, la question qu’il agite ; l’homme qu’il emploie, l’œuvre à laquelle il s’allie, le parti dont il se fait l’auxiliaire ? Semblable à ces fées dont la baguette transformait les fruits les plus grossiers en diamans et en émeraudes, à ces rois de France à qui il suffisait de toucher les malades pour les guérir, il se croira toujours sûr de changer le mensonge en vérité par cela seul qu’il l’exprime, l’homme malfaisant en homme de bien par cela seul qu’il l’explique, l’incident frivole en histoire sérieuse par cela seul qu’il le recueille. Même il ne s’arrêtera pas sur cette pente. Plus l’ennoblissement de l’idée par le mot, du sujet par l’accessoire, du fond par la forme, de l’homme par le portrait, lui paraîtra difficile, plus il s’y livrera avec complaisance, plus il se croira de mérite à réussir, plus il se persuadera aisément qu’il a réussi : triste et éphémère succès qui n’en laisse pas moins subsister les grandes lignes, les délimitations immortelles, tracées par la morale et par l’art, par le bon sens et le bon goût !

S’il nous fallait une nouvelle preuve de la réalité de ces tristes tendances, nous la rencontrerions dans Raphaël. Voici, j’imagine, comment M. de Lamartine a été amené à écrire ce livre. En recueillant ses souvenirs pour en faire des confidences, il en aura trouvé un, occupant dans sa mémoire et dans son passé un point culminant, éclairé au feu lointain de ces rêves de jeunesse dont rien ne remplace la douceur. Ce souvenir se sera confondu pour lui avec l’image de cette Elvire, de cette femme idéale, chantée, nous allions dire aimée, en strophes si mélodieuses, de cette Elvire secrètement enviée par tant de filles d’Eve, et dont les cœurs secs ont pu seuls contester l’existence. Ce point d’érudition sentimentale et poétique une fois fixé, M. de Lamartine a pensé que cet épisode,