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Shakspeare à la cour d’Elisabeth, que l’immortel s’inclinait devant les mortels. Maintenant le point de vue n’est plus tout-à-fait le même. Ce qui n’était qu’une complaisance est devenu une ambition ; ce n’est plus l’art qui se fait courtisan de la noblesse ou de ce qu’on appelait ainsi jadis, c’est la noblesse qui se fait solliciteuse auprès de l’art. C’est pourquoi, au lieu de prétendre que la dignité des lettres a quelque chose à souffrir de ces suffrages, il vaudrait mieux reconnaître combien elle y a gagné, et quel progrès réel renferme ce prétendu pas en arrière. Si aujourd’hui les distinctions littéraires survivent assez complètement aux distinctions sociales pour qu’on se console de la perte des unes en s’élevant jusqu’aux autres, il faut bien en conclure qu’il y a quelque habileté à constater cette suprématie de l’intelligence, et que faire des académiciens de gens à qui la république ne permet pas de rester gentilshommes, ce peut être une épigramme contre la noblesse, mais ce n’en est pas une, à coup sûr, contre la littérature.

N’est-ce pas encore un honneur pour les lettres que l’hommage tardif rendu par un illustre écrivain à leur action bienfaisante et consolatrice ? M. de Lamartine s’est ressouvenu qu’il était poète : hélas ! il eût dû profiter de l’occasion pour s’avouer à lui-même qu’il l’avait toujours été. Il a eu l’idée de revenir aux sources primitives de sa popularité ternie, à peu près comme le voyageur, se détournant d’une onde troublée, prend le parti d’en remonter le cours jusqu’à ce qu’il ait trouvé la source vive et limpide où il se souvient d’avoir bu avec délices. Loin de nous l’idée de médire de cette bonne pensée ! nous nous réjouissons sincèrement de voir M. de Lamartine redemander à l’art ces victoires qu’il ne rencontre plus sur une autre arène, et remplir, par des productions nouvelles, les intermittences de sa vie publique ; mais, en applaudissant à l’intention, pouvons-nous approuver aussi absolument les préoccupations qui se trahissent dans les derniers ouvrages de M. de Lamartine ? Sans contester le charme de ces réminiscences, la fraîcheur de ces tableaux, n’est-il pas permis de dire que ces monographies complaisantes, cette importance extrême attachée aux menus détails d’une adolescence promise à la gloire, d’une enfance prédestinée à la poésie, ont un côté puéril, un peu choquant chez des hommes que l’âge et le contact des affaires auraient dû tourner vers des sujets plu graves et des idées plus élevées ? L’antiquité avait fait de la connaissance de soi-même un des principaux élémens de la sagesse ; mais l’excès est fâcheux en toutes choses. Aujourd’hui on est tenté de trouver que nos illustres se connaissent trop bien, qu’ils se savent par cœur, et qu’ils se racontent trop volontiers. Encore s’ils profitaient de ce travail interne, de cette étude autobiographique, pour nous ouvrir des perspectives exactes et vraies, pour résumer en eux, comme dans une personnification éclatante, des études originales, délicates, consciencieuses, propres à compléter l’histoire du cœur et de l’esprit humain ! Goethe a donné l’exemple de ces contemplations du moi, comme disent les Allemands. Seulement, dans cette ame sereine, dans cette magnifique intelligence, cet effort permanent pour assister au développement de la sensation, à l’éclosion de la pensée, n’est qu’une arme de plus fournie à l’analyse, un moyen d’agrandir, d’illuminer le domaine de la critique, de faire d’un des plus vastes esprits qui aient étonné le monde une lampe vigilante, éclairant à la fois l’albâtre qui la contient et les objets sur lesquels s’épanche sa lueur. Qu’importe alors que l’orgueil du grand homme ait sa part ? Il suffit que l’art ait la sienne, et que cet orgueil ne soit ni enfantin ni stérile.