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dans cette illusion. Ils connaissaient si peu l’état de la France ! Enfin, le 10 décembre, Louis Bonaparte est élu président de la république par six millions de voix. Le candidat de l’assemblée nationale en réunit à peine quinze cent mille.

Qu’on ne s’y trompe pas : la tactique des partis n’a joué aucun rôle dans cette manifestation du pays. Le suffrage universel se joue de l’habileté des hommes politiques. Ce serait une prétention folle que de vouloir inspirer, puis guider le sentiment de huit millions d’électeurs. La candidature du prince Louis est née dans les campagnes, s’est propagée de là dans les villes et n’a gagné la capitale qu’au dernier moment. Le même mouvement s’est produit dans le monde politique : ce sont les soldats qui ont entraîné leurs chefs. S’il y a une responsabilité ou une gloire attachée à cet événement, elle revient au peuple seul.

À l’occasion de cette élection, les journalistes les plus influens des départemens se réunirent à Paris. Ils n’y vinrent point pour prendre le mot d’ordre, comme ils l’auraient fait avant le 24 février, mais pour exposer aux hommes considérables du parti modéré le véritable état des provinces. Ils publièrent un manifeste. Ils proclamèrent que le prince Louis était leur candidat ; puis, confians dans leur force, au milieu de la capitale, en présence de la presse parisienne, qui avait gouverné pendant trente ans sans aucune contestation, ils prirent l’initiative hardie de déclarer que l’assemblée avait terminé son mandat, et devait se dissoudre après la proclamation du président. Ce fait constatait le déplacement de l’influence politique.

Presque au même moment les conseils-généraux se réunissaient. Ils devaient refléter dans leurs délibérations l’esprit d’opposition qui avait présidé à leur origine. Les présidens nommés furent généralement pris dans les opinions les plus modérées. C’était M. le duc de Broglie dans l’Eure, M. Barbet dans la Seine-Inférieure, M. Muteau dans la Côte-d’Or, M. Monnier de la Sizeranne dans la Drome, M. Bignon dans la Loire-Inférieure, M. Lepelletier-d’Aulnay dans Seine-et-Oise, M. Tesnière dans la Charente, M. Proa dans la Vienne, M. Chasseloup Laubat dans la Charente-Inférieure, M. Duffourg-Dubergier dans la Gironde, enfin M. Lavalette dans la Mayenne. La vie politique affluait avec trop d’impétuosité dans les départemens, pour qu’elle ne fît pas irruption au sein même de leurs conseils. Les barrières légales furent franchies. Le temps était passé des discussions ardentes sur le classement des chemins, sur l’entretien des routes, sur les encouragemens à donner à la race chevaline. Les préoccupations étaient autre part. On ne songeait qu’aux maux de la patrie ; on reportait sa pensée sur les fatales journées du 15 mai et du mois de juin, et l’on recherchait par quels moyens on pourrait prévenir le retour de pareils événemens. L’anarchie était-elle définitivement vaincue ? N’avait-on pas à craindre de lui voir faire