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le petit patrimoine. Ainsi, beaucoup d’hommes des classes élevées, qui, en 1830, s’étaient retirés de la vie publique, y rentrèrent par les humbles fonctions de maire ou de conseiller municipal de leur village.

Les élections au conseil-général eurent encore plus de signification. On vit reparaître les notabilités du pays : d’anciens pairs de France, d’anciens députés, des magistrats suspendus ou révoqués de leurs fonctions par le gouvernement provisoire. Vaincus il y a six mois, le suffrage universel les ramenait vainqueurs sur la scène politique. Quelle trahison de la part du suffrage universel ! Les révolutionnaires n’osaient pas encore l’accuser, mais ils expliquaient ses erreurs par l’état d’ignorance où la monarchie avait systématiquement tenu nos campagnes. Cette explication blessait la justice autant que la vérité. Ce retour aux hommes qui naguère étaient au ban de l’opinion publique avait une autre cause. Le pays avait vu leurs adversaires à l’œuvre, dans le gouvernement, dans les préfectures, dans les conseils locaux, et leur règne d’un jour avait suffi pour mettre la confusion et le désordre partout, dans les esprits comme dans l’administration. Ce triste spectacle avait provoqué une comparaison entre le passé et le présent. On se rappelait que, quelques mois auparavant, les intérêts publics et privés étaient protégés, les droits respectés, que la loi était observée, et l’autorité soigneuse de sa dignité. Les habitans des campagnes ne sont pas si ignorans que le prétendent ceux dont ils ont déjoué les desseins. Ils n’ont point l’esprit imbu des doctrines professées dans les clubs, cela est vrai ; mais pendant les trente dernières années, et surtout dans la seconde période de la monarchie constitutionnelle, ils ont appris que le bien-être de chacun est subordonné à la prospérité générale, que la légalité est la garantie de tous les citoyens, et que la fécondité de leur champ est une richesse stérile, si l’ordre public est troublé. Ce n’est pas la politique qui les a ramenés aux représentans de la tradition et des gouvernemens réguliers, c’est bien plutôt un sentiment social. Ils ont cherché auprès d’eux les conditions de leur repos et de leur travail, perdues depuis février.

Le problème le plus grave que l’assemblée avait à résoudre dans la constitution était de décider si le pouvoir législatif serait divisé en deux branches. Elle s’est prononcée pour une chambre unique. Pour faire prévaloir cette solution, ses orateurs les plus écoutés disaient : La nation doit donner sa forme à la constitution et y refléter son génie. Voyez la parfaite unité de la société française. Les élémens dont elle se composait autrefois ont disparu, et se sont fondus ensemble pour ne plus laisser apparaître que le peuple. Plus de classes privilégiées ! L’aristocratie a cessé d’exister ; le clergé est dépouillé de son ancienne influence, et nulle distinction d’origine n’entrave ou ne favorise aucun citoyen.