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l’armée, autrefois l’espoir des bons citoyens, retenue à distance de la capitale et suspecte de sentimens hostiles, ne pouvait plus rien pour le rétablissement de l’ordre ; la garde nationale, sous le commandement du général Courtais, sans foi dans sa force, sans confiance dans son chef, se sentait impuissante à lutter tout à la fois contre les anarchistes dont ses rangs s’étaient grossis, et contre les ateliers nationaux incessamment recrutés pour le service de l’émeute en permanence. C’est sous l’empire de ces circonstances que Paris arriva aux élections du mois d’avril dernier. Ses votes d’alors, jugés aujourd’hui, ne témoignent que trop de l’état moral que nous venons de décrire ; pleins de déférence pour l’esprit révolutionnaire, ils proclamèrent les noms du gouvernement provisoire et de quelques-uns des hommes les plus marquans du parti démocratique, entre autres ceux de MM. Louis Blanc, Albert, de Lamennais, Ledru-Rollin et Flocon.

Dans les départemens, l’opinion publique prit une tout autre attitude. La secousse était trop violente pour ne pas y mettre en éveil toutes les imaginations. Par suite d’une vieille habitude contractée pendant les vingt années de la domination exclusive de Paris, on reçut sans protestation les premières dépêches télégraphiques de l’Hôtel-de-Ville ; mais on croyait que de la capitale viendraient aussi les moyens de salut et qu’ils ne se feraient pas long-temps attendre. On faisait mille conjectures ; on annonçait que les députés dispersés se réunissaient dans une ville du centre, rappelaient l’armée autour d’eux, et marchaient sur Paris pour renverser la révolution. Si les départemens n’eurent pas en ce moment suprême l’initiative qui aurait pu sauver la France, il ne faut en accuser que la dépendance où on les avait tenus. Sans guide, sans chef, ils n’eurent point suffisamment confiance en eux, et n’osèrent rien entreprendre par leurs propres forces ; mais, aussitôt la république proclamée, ils se mirent à commenter ce mot, à lui demander s’il ne recélait pas plus de menaces que d’espérances, à rechercher de quel droit quelques hommes élevés sur le pavois des ouvriers du faubourg Saint-Antoine se permettaient d’imposer un nouveau gouvernement à la France, et de changer ses institutions sans la consulter. Les décrets signés Ledru-Rohlin, Lamartine, Marrast, malgré leur formulaire, au nom du peuple français, soulevèrent partout la véritable voix du peuple, qui répondait par des protestations. Dans chaque localité, dans chaque ville, on compta le nombre des personnes qui adhéraient aux principes nouveaux, on les pesa d’une main sévère ; on reconnut que ces personnes ne composaient qu’une infime minorité, et que leur moralité ne pouvait inspirer aucune confiance. Il se manifesta donc dès l’abord, dans les provinces, une énergique répulsion contre les hommes et les doctrines de la révolution du 24 février.