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et forcé de laisser à l’eau les trois quarts de sa tessure[1], retira du quart restant deux cent mille harengs ; environ huit cent mille poissons s’étaient donc pris en quelques instans. Quand un de ces bouillons s’engage dans un golfe, il le comble pour ainsi dire ; les premiers rangs, poussés par ceux qui suivent, sont jetés hors de l’eau et jonchent de longues étendues de grève, pêle-mêle avec d’autres poissons, que le tourbillon a entraînés en passant.

Des milliers de poissons voraces, de grands squales, des cétacés gigantesques, suivent ces bancs de harengs, et en dévorent d’innombrables quantités. Depuis des siècles, l’homme est venu se joindre à ces ennemis naturels, apportant avec lui son industrie dévastatrice, et pourtant les harengs ne diminuent pas. Tous les ans, leurs légions s’élèvent du fond de l’Océan aussi nombreuses, aussi compactes. Il faut que cette espèce possède un bien haut degré de puissance reproductive, et ce fait s’explique d’un côté par sa fécondité, et d’un autre côté par ses habitudes. Les harengs femelles de la Manche contiennent en moyenne de vingt-neuf à trente mille œufs. Les grands harengs du Nord en renferment jusqu’à soixante-huit mille. Le nombre des femelles est d’ailleurs supérieur de plus du double à celui des mâles, et, grace aux mœurs sociales de ces poissons, cette disproportion ne nuit guère au développement des œufs. Pressés par les mêmes instincts, ils se rendent ensemble sur les fonds favorables, et à peine une femelle s’est-elle débarrassée de ses milliers de germes, que l’élément fécondateur fourni par quelque mâle voisin les atteint et leur donne la vie.

Le commodore Billings a pu observer les harengs pendant cet acte important, qui assure la perpétuité de l’espèce. À l’ancre, pendant le mois de juin, dans un port du Kamtschatka, il remarqua plusieurs de ces poissons qui décrivaient en nageant des cercles d’une toise environ de diamètre. Au milieu de chaque cercle, l’un d’eux se tenait immobile, et les herbes qui l’entouraient devenaient bientôt d’un jaune brillant. Quand vint le reflux, tout le rivage, plantes, pierres ou sable, se trouva enduit d’un demi-pouce de frai, que les chiens, les mouettes et les corbeaux se disputaient à l’envi. Des causes de destruction analogues attendent partout les œufs de hareng. Ce qui en réchappe donne naissance à de petits poissons, connus sur nos côtes sous le nom de blanches, qui passent leur première jeunesse dans le lieu de leur naissance, puis gagnent les profondeurs de la mer, où ils séjournent jusqu’à ce que, à leur tour, ils soient chassés de leurs retraites par l’instinct de la reproduction.

Aucun des écrivains de la Grèce ou de Rome n’a parlé du hareng. Vivant sur les bords de la Méditerranée et n’observant guère que les

  1. On nomme ainsi l’ensemble des filets et de leurs apparaux.