de riz en épis, la besogne de vingt Javanais munis de leurs anîs-anîs. Nous saisîmes la première occasion qui se présenta d’exprimer au vieux régent dont nous avions fait la connaissance notre étonnement de ce que les Javanais pussent persister à employer un procédé aussi compliqué et nous suggérâmes l’emploi des faucilles, en insistant sur l’économie de temps et de travail qu’on ne manquerait pas d’obtenir avec cet instrument. « J’admets en principe, nous répondit le noble cultivateur (car depuis qu’il avait quitté la carrière administrative, il faisait de la culture de ses champs sa principale occupation et ses délices), j’admets la supériorité d’un instrument tel que celui que vous venez de me désigner sur nos grossiers anîs-anîs ; mais l’introduction de la plupart de vos outils aratoires, en particulier celle de vos faucilles pour la coupe du pady, est inadmissible dans notre système agricole. Nous ne saurions faire aucun changement important dans notre manière de planter et de recueillir nos produits. Ces procédés nous ont été transmis par nos ancêtres et sont en harmonie avec nos mœurs et nos usages. Le pady, par exemple, ne peut être planté que tige par tige et à la main. Pour ce travail, on n’emploie généralement que des femmes, et cela de temps immémorial. Ce sont elles seules qui font la récolte. La partie du travail assignée aux hommes par l’usage consiste uniquement à préparer la terre et à la pourvoir d’eau. Par suite de ces règles traditionnelles et invariables, les femmes ont droit à la sixième part du pady qu’elles coupent. Il serait d’ailleurs assez difficile d’employer des faucilles pour cette récolte, attendu que l’on trouve rarement un champ de pady qui ait atteint le même degré de maturité sur toute sa superficie, et qu’on est pour ainsi dire obligé de ne couper qu’un épi (un panicule) à la fois. Les plantes qui ne sont pas mûres sont laissées (toujours suivant l’usage) à la disposition des veuves sans famille, qui les enlèvent aussitôt que la récolte a été rentrée.
Ces explications si simples et si concluantes nous touchèrent et firent naître en nous le désir de pénétrer plus avant dans le mystère des institutions javanaises. Plusieurs conférences de la même nature nous éclairèrent par degrés sur le rôle que les employés européens devaient être appelés à jouer dans le système des cultures. Ce rôle serait d’autant plus utile, que les employés éviteraient plus soigneusement de contrarier les habitudes adoptées par les Javanais depuis des siècles pour la répartition des travaux agricoles. Nous comprenions déjà que les surveillans européens devaient se borner à prendre des mesures efficaces pour procurer de l’eau aux champs qui en manquaient, ordonner des défrichemens partout où les localités et la force de la population le permettraient, ouvrir des routes ou améliorer les routes existantes dans la direction des marchés, et enfin protéger activement les cultivateurs dans le transport et au moment de la vente de leurs