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les pousse à chercher des eaux peu profondes et par cela même plus aérées, plus facilement réchauffées par les rayons du soleil. Tous les harengs adultes d’une même localité, placés dans des conditions identiques, éprouvent à la fois les mêmes besoins, obéissent en même temps à une impulsion semblable. Au besoin, l’instinct d’imitation, si facile à constater jusque chez les poissons de nos viviers, entraîne les plus paresseux, et, grace à ces causes réunies, ils quittent en masse leurs retraites pour se diriger en phalanges serrées vers les bas-fonds les plus voisins. Cette manière d’expliquer leur apparition subite et par myriades dans une localité désertée la veille est à la fois la plus simple et la plus concordante avec tous les faits. C’est une erreur de croire que les harengs abandonnent complétement nos mers. En Hollande, en Belgique, en Normandie, on prend pendant toute l’année ces poissons isolés mêlés à d’autres espèces, ce qui ne saurait avoir lieu dans l’hypothèse des voyages. De vieux pêcheurs ont même assuré à M. Valenciennes que, si leurs filets pouvaient être descendus assez profondément, ils prendraient en tout temps autant de harengs qu’au plus fort de la saison. Cependant il en est qui pensent que, lorsque ces poissons ont gagné le fond des mers, ils sont en si grand nombre et si bien pressés les uns contre les autres que les filets glissent sur le banc sans pouvoir l’entamer.

Quelque exagérée que puisse paraître cette dernière croyance, elle ne va peut-être guère au-delà du vrai. Alors même que les harengs sont en marche, leur nombre est tellement prodigieux, leurs colonnes sont tellement serrées, que les faits les mieux constatés ressemblent parfois à des fictions. Les sagas des peuples scandinaves consacrent le souvenir de plusieurs pêches extraordinaires. Olaüs Magnus nous apprend qu’on a vu les harengs se presser vers le rivage de telle sorte, qu’une pique plantée au milieu du banc se tenait debout. En 1781, ces poissons arrivèrent près de Buscoe, sûr la côte de Gothembourg, en si grande quantité, qu’on les prenait à la main. En 1784, le loch Urn fournit à lui seul, dans l’espace de cinquante jours, pour 56,000 liv. sterl. (1,400,000 fr.) de harengs. En 1773, le loch Torridon fut envahi de telle sorte, que cent cinquante bateaux pêcheurs, portant de douze à vingt barils de harengs, eurent leur chargement complet en une seule nuit. En 1774, on a vu sur les côtes de Fife des pêcheurs prendre cinquante mille harengs d’un seul coup de filet. L’histoire de nos pêches nationales présente des faits semblables. Des pêcheurs de Dunkerque, de Calais, de Dieppe, de Boulogne, ont pris jusqu’à deux cent quatre-vingt mille harengs dans une nuit. Souvent on a vu de grandes corvettes de pêche, près de sombrer sous le poids des poissons emmaillés, couper leurs câbles et ne devoir leur salut qu’à l’abandon d’une partie de leurs filets. Un pêcheur de Fécamp, qui s’était trouvé dans cette position critique